jeudi 14 juin 2012

Comment aborder l'épreuve de Philosophie du Baccalauréat ?


Quoi de plus énervant que de s’entendre conseiller de rester calme quand les épreuves décisives du baccalauréat sont imminentes, qu’on a l’impression de ne pas avoir assez révisé, que notre avenir professionnel va se jouer en deux semaines, que nos copains, nos parents, nos professeurs ne nous parlent que de cela en longueur de journées?
Il importe d’abord de détruire, autant qu’on le peut, tout complexe de culpabilité à l’égard de ce que l’on « aurait du faire ». Cela aboutit le plus souvent à a tentative absurde et désespérée de parcourir le programme d’une année en deux jours. En Philosophie, les correcteurs n’ont pas dans la tête un corrigé type ou un profil idéal de candidat en fonction desquels ils étalonneraient les copies soumises à leur évaluation. Ils sont principalement à l’affût d’une « tournure d’esprit » propre à une manière spécifiquement philosophique d’aborder les questions. Cette tournure d’esprit repose sur l’idée selon laquelle il y a toujours une certaine grossièreté à se prononcer rapidement, de façon épidermique, en faveur d’une réponse négative ou positive sans avoir saisi la profondeur de la question. C’est l’exploration subtile et surtout sans préjugés d’aucune sorte de cette profondeur qui finalement doit constituer le corps même de la dissertation. Tout travail de philosophie est l’occasion offerte de se remettre au clair avec soi-même dans la mesure où le moindre moment de précipitation pendant lequel on est tenté de répondre, sans examen ni argument, « Oui » ou « Non » est l’indice d’un point de crispation, de contracture dans le muscle de notre pensée. Tout le paradoxe de l’exercice se situe précisément dans ce travail pendant lequel la réflexion doit dérouler sur un mode extrêmement vigilant, attentionné, contenu, l’efficience d’une décontraction, du dépliement de tous les nœuds d’un problème.
Comprendre cet aspect est essentiel dans la mesure où cela permet de réaliser la disposition d’esprit « contre-productive » dans laquelle se place tout candidat se présentant à l’épreuve d’emblée « contracté de corps et d’esprit ». Il s’agit de s’ouvrir à une question et surtout pas de se limiter à des réponses. Mais l’ouverture d’esprit ne s’assimile en aucune façon un laisser aller, pas plus qu’une inclination à la dérive ou au hors sujet. Elle a, au contraire, tout d’une « résistance » car le « penchant » se situe toujours plutôt du côté de la rapidité à trouver une réponse. Il faut beaucoup travailler sur soi pour saisir le sujet dans la neutralité de son aplomb, dans la simplicité presque naïve de son intitulé jusqu’à ce que l’on se sente bousculé soi-même, désarçonné par la pesanteur de préjugés et d’apriori qui nous apparaissent pour la première fois comme tels, et qui nous empêchaient jusqu’alors de saisir le bien fondé de cette interrogation. On ne demande pas à un candidat de l’épreuve de Philosophie d’être savant mais d’aimer la sagesse et cette expression n’a rien à voir avec les arguties interminables de celui ou celle qui « aime pinailler ». Il importe d’avoir l’esprit de résistance et de justesse de l’amoureux pour saisir le point faible du dialecticien qui ne saurait réfléchir au-delà de cette limite selon laquelle une proposition est vraie ou fausse. Une dissertation de philosophie consiste finalement dans l’exploration la plus subtile et la plus précise possible du « tiers inclus ». « C’est vrai dit Nietzsche, et c’est aussi le contraire »
Représentez-vous dans votre entourage une personne pour laquelle tout est toujours « tout blanc ou tout noir » (il serait étonnant que vous n’en trouviez pas car il en existe beaucoup) et posez-vous la question de savoir si cette personne est authentiquement animée d’un désir de connaître la vérité ou de l’envie de donner aux autres l’impression qu’il la connaît. Il faut explorer les coutures du oui et du non pour en percevoir la complexité, voire la nature confuse et interchangeable et finalement réaliser que c’est justement parce que l’on veut vraiment savoir ce qu’il en est que l’on s’attache ainsi à se contredire soi-même. Les choses sont très faciles pour les personnes qui n’abordent l’existence que « de leur point de vue » de la même façon que la vie est toute tracée pour les prisonniers de la matrice qui ne souhaitent pas être libérés. Il y a quelque chose du doute de Néo concernant la matrice qui constitue le fond d’une nature philosophique auquel un correcteur du baccalauréat est nécessairement sensible.
Or, il est suggéré à plusieurs reprises dans le film « Matrix » que finalement tous les hommes savent qu’ils sont victimes d’une illusion, que leur vie se déroule de façon un peu trop attendue et prévisible pour ne pas être programmée. Il ne s’agit donc pas tant de détecter la tromperie que d’emprunter réellement le chemin de la combattre. De ce point de vue, la matrice fonctionne comme toutes les machines totalitaires dont l’humanité a déjà fait l’expérience. Un adolescent allemand nourri au sein des Jeunesses Hitlériennes ne pouvait pas non plus tout-à-fait ignorer aussi profond que soit son conditionnement, et finalement à cause de lui, qu’il était conditionné. De nos jours, en France, quel est le visage de cette machine ? Ce n’est plus un visage politique mais un mode de vie économique. L’adolescent « sympa », lecteur MP3 vissé dans les oreilles, casquette Nike assorti à ses baskets, qui va manger une frite au Mac Do, ne peut, pas davantage ignorer qu’il est en train de suivre le mouvement d’une image-type et que ce mouvement va dans le sens d’une logique de sur-consommation. La pression de cette logique est suffisamment forte pour gratifier chacun de nous du potentiel de libération d’un Néo.
L’année de Philosophie en général et le dernier sujet de la dernière épreuve en particulier peuvent être appréhendés comme l’occasion offerte au lycéen de mûrir le choix des deux pilules et plus encore de réaliser qu’il ne regrette pas d’avoir avalé la rouge. Cela signifie aussi qu’il a, sans hésitation, penché en faveur de cette exploration de la complexification du Réel. Si la vraie vie est un labyrinthe, il n’est pas étonnant qu’un exercice de recherche du vrai comme l’est une dissertation de Philosophie se rapproche d’un travail incessant de dépassement de cette alternative caricaturale du « Oui ou Non ».
Une fois bien compris ce qu’est un travail de philosophie, reste à assimiler la méthode. Or celle-ci ne requiert finalement qu’une seule qualité : « l’habitude ». Ce qu’il faut travailler dans ces quelques jours avant l’épreuve, c’est simplement mais totalement cela : « l’habitude de traiter des sujets et des textes ». Il convient de noyer l’épreuve dans une routine de sujets abordés, problématisés, structurés en plans, de textes lus, disséqués, analysés au gré des articulations qui s’agencent autour leur idée essentielle. Tout(e)  candidat(e) parvenant à réduire voire annuler son anxiété dans l’exercice paisible et routinier du traitement de sujets et de textes multiplie ces chances de succès par deux, au moins. Les notes acquises pendant l’année ne comptent plus, surtout si elles sont mauvaises. Seule, l’aptitude à réaliser maintenant un travail de contraction d’habitude, d’analyse et de traitement de sujets et de textes est à prendre en considération, à mettre en œuvre. Notre réflexion trouve d’autant plus facilement les mots justes qu’elle a été habituée les jours précédant l’épreuve à les chercher. C’est pourquoi un travail de formulation est indispensable, indépendamment de la nature du sujet en lui-même (il ne s’agit pas de deviner le sujet qui va tomber mais de s’habituer à les traiter tous, dans ce qu’ils ont de philosophique). Comprimer des blocs d’habitude : c’est peut-être l’essence même de toute existence biologique qui se résume en ces termes. On ne voit pas bien à quel titre une épreuve du baccalauréat proposée à des humains échapperait à la vérité simple, neutre et biotique d’un rouleau compresseur opérationnel dans la totalité du vivant.