jeudi 26 mars 2015

Explication de texte (Terminales Es S1) pour le 17/04


« Nous n’avons pas le sentiment que de nouveaux exemples accroissent notre certitude que deux et deux font quatre, parce que dès que la vérité de cette proposition est comprise, notre certitude est si grande qu’elle n’est pas susceptible d’augmenter. De plus, nous éprouvons concernant la proposition « deux et deux font quatre » un sentiment de nécessité qui est absent même dans le cas des généralisations empiriques les mieux attestées. C’est que de telles généralisations restent de simples faits : nous sentons qu’un monde où elles seraient fausses est possible, même s’il se trouve qu’elles sont vraies dans le monde réel. Dans tous les mondes possibles, au contraire, nous éprouvons le sentiment que deux et deux feraient toujours quatre : ce n’est plus un simple fait, mais une nécessité à laquelle tout monde, réel ou possible, doit se conformer.
Pour éclaircir ce point, prenons une vraie généralisation empirique, comme « Tous les hommes sont mortels ». Nous croyons à cette proposition, d’abord parce qu’il n’y a pas d’exemple connu d’homme ayant vécu au-delà d’un certain âge, ensuite parce que des raisons tirées de la physiologie nous font penser qu’un organisme comme le corps humain doit tôt ou tard se défaire. Laissons de côté le second point, et considérons seulement notre expérience du caractère mortel de l’homme : il est clair que nous ne pouvons nous satisfaire d’un seul exemple, fût-il clairement attesté, de mort d’homme, alors qu’avec « deux et deux font quatre », un seul cas bien compris suffit à nous persuader qu’il en sera toujours de même. Enfin nous devons admettre qu’il peut à la réflexion surgir quelque doute sur la question de savoir si vraiment tous les hommes sont mortels. Imaginons, pour voir clairement la différence, deux mondes, l’un où certains hommes ne meurent pas, l’autre où deux et deux font cinq. Quand Swift (1) nous parle de la race immortelle des Struldbrugs, nous pouvons le suivre par l’imagination. Mais un monde où deux et deux feraient cinq semble d’un tout autre niveau. Nous l’éprouverions comme un bouleversement de tout l’édifice de la connaissance, réduit à un état d’incertitude complète. »
                                                             RUSSELL, Problèmes de philosophie (1912)

(1) Ecrivain irlandais du XVIIIe siècle, auteur des Voyages de Gulliver.


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