dimanche 26 avril 2015

Stage de révision du 27 avril - Méthodologie (Partie 1)


A)   Les sujets 1 et 2
1)    Eviter le hors sujet (trouver la problématique)
Comment peut-on être sûr que l’on n’est pas hors sujet ? Quand nous réalisons que la question posée se relance constamment, c’est-à-dire quand nous nous apercevons que cette interrogation que nous considérions peut-être dans un premier temps comme « facile », n’en finit pas de s’approfondir, de se compliquer, de se nuancer. Tout sujet de philosophie suppose une certaine « consistance ». En d’autres termes, c’est justement parce que la réponse : « oui » ou « non » ne s’impose pas définitivement qu’on nous l’a proposé.

Cela suppose qu’on soit capable de ne pas se décourager au fur et à mesure que des arguments tout à la fois cohérents et opposés se présentent à notre esprit. C’est justement quand on commence à rentrer vraiment dans le sujet que certains candidats perdent pied parce qu’ils comprennent que la question est insoluble mais ils ne veulent pas structurer cette complexité (ce qui s’appelle un plan). Donc plus la question se déploie, plus elle réclame de nous des mises au point des clarifications, des distinctions, plus on la traite « vraiment » et inversement plus elle nous semble facile, plus il est probable que l’on est en train de s’écarter du vrai sujet.  Par conséquent, le critère le plus fiable d’un traitement correct de la question consiste dans la multiplication des implications problématiques. Moins c’est simple, plus nous sommes « dedans ». Et la grande difficulté résidera dans l’exigence de clarté de notre style d’écriture. Une dissertation de philosophie se définit comme la tentative de voir clair dans la confusion induite par une question vraiment problématique.


Si nous considérons par exemple le sujet « Peut-on tout démontrer ? », nous saisissons sans problème la signification première de la question : « Tout peut-il être objet de démonstration ? » Mais pour que le sujet ait une vraie consistance, il faut que nous réalisions tout de suite que la question ne porte par sur la possibilité de tout expliquer, mais plutôt sur le statut d’exclusivité de la démonstration comme méthode. N’y a-t-il pas des propositions que nous admettons sans démonstration tout simplement parce que celle-ci est impossible ? Peut-on démontrer qu’il y a de l’espace, que je ne suis pas en train de rêver, que Dieu existe, que je suis amoureux de telle ou telle personne, que Le cri de Munch est une œuvre d’art ? Nous faisons l’expérience de vérité auxquelles nous adhérons sans démonstration. Avons-nous à argumenter la confiance que nous faisons à un proche lorsqu’il s’engage à nous aider ? La démonstration est une modalité d’adhésion à une thèse qui suppose un enchaînement très rigoureux de preuves, mais la question se pose de savoir si elle constitue la seule façon d’admettre quelque chose. D’autre part, nous pouvons faire remarquer qu’une démonstration a besoin d’axiomes, de principes et la question acquiert de ce biais une certaine profondeur : « Peut-on tout démontrer dans l’acte même de démontrer ? » N’est-il pas nécessaire que la démonstration s’accorde à elle-même de ne pas s’exercer sur tout pour pouvoir s’exercer ? Nous pressentons alors que nous avons donné au terme « tout » présent dans le sujet tout son sens, toute sa densité problématique : aucune démonstration ne peut commencer à partir de rien, il lui faut bien admettre quelque chose, un principe,  pour pouvoir déployer le processus implacable d’enchainement logique dans lequel elle consiste. Cela suppose qu’il faut pour qu’il y ait démonstration que tout ne soit pas démontré.

2)    Rédiger l’introduction

Un correcteur du baccalauréat repère dés l’introduction la copie du candidat qui « veut en finir le plus vite possible », ou bien qui n’a pas compris la dimension problématique d’un sujet (nous ne choisissons pas un sujet parce qu’il est facile mais au contraire parce qu’on le sentiment qu’on ne se sortira jamais de son questionnement). Le plus souvent, une mauvaise copie commence par « ce sujet nous interroge sur… » ou pire encore : « De tout temps les hommes se sont posés cette question… ». L’introduction consiste à partir de la pensée commune pour la dépasser très rapidement et montrer que ce que l’opinion courante croit pouvoir résoudre en deux minutes, la philosophie l’approfondit et en révèle la difficulté implicite. Il ne s’agit pas de compliquer « pour le plaisir ». Nous avons besoin pour vivre de faire comme si certaines choses étaient évidentes, tout simplement parce que la vie en société réclame de nous que nous adhérions à certaines idées, mais la philosophie est cette discipline dans laquelle le temps nous est donné d’examiner rigoureusement certains préjugés.

Considérons le sujet « Sommes-nous responsables de nos actes ? » Légalement cela va de soi, sauf s’il est avéré qu’au moment du délit, nous n’étions pas conscients. On ne peut considérer comme responsable d’un crime qu’une personne qui savait ce qu’elle faisait en tuant. Nous réalisons ainsi que nos lois partent du principe que nous sommes des êtres conscients, ce qui n’est pas toujours vrai et ce que les thèses de Sigmund Freud ont remis en question. Le sujet se complique encore lorsque nous prenons en compte le déterminisme social. Une mère de famille au chômage qui essaie de dérober de la nourriture dans un supermarché pour ses enfants est bien consciente de ce qu’elle fait mais elle ne le fait pas vraiment « de son plein gré ». Certains actes nous sont imposés parce que nous sommes pris dans des nécessités économiques. Il peut aussi arriver qu’un adolescent issu d’un milieu défavorisé, dont les parents ne peuvent assurer l’éducation passent par plusieurs familles d’accueil, et finissent par commettre des actes illégaux. Il sera jugé comme responsable de ses actes, mais il ne fait aucun doute que son passé constitue une partie de l’explication, du moins en partie, de sa conduite, dans une perspective sociologique.

Nous comprenons le problème quand nous saisissons d’une part qu’aucune société ne peut vraiment se concevoir si chacun de ses membres n’endosse pas la responsabilité de ses actes (autrement il nous faudrait dire qu’ « il y a des meurtres », sur le même mode impersonnel que nous affirmons qu’ « il y a » de la pluie ou du soleil) et d’autre part qu’il n’est pas du tout évident que nous jouissions d’une liberté suffisante pour pouvoir réellement être considéré comme les auteurs de nos actions. En un sens, la responsabilité (pouvoir répondre de ce que nous faisons) « postule » un sujet, un « je » libre, sorti de nulle part, neutre, « pur » de toutes déterminations. C’est totalement illusoire, nous sommes nécessairement influencés par notre environnement et notre origine sociale. Il faut foncer droit vers la difficulté, exprimer le cœur de ce paradoxe : d’un côté nous n’imaginons pas une société sans Droit, donc sans sujet de Droit auquel on peut imputer la responsabilité de ses actes mais d’un autre côté, nous réalisons que cette absolue nécessité du Droit nous amène, au gré d’une modalité rétroactive et illusoire, à présupposer l’existence d’un sujet libre, comme si la société se gratifiait arbitrairement d’une fausse légitimité, c’est-à-dire comme si elle se donnait à elle-même ce dont elle a besoin pour être elle-même, à savoir un citoyen responsable et libre qui seul décide de ce qu’il fait.
Nous sommes maintenant en mesure de rédiger l’introduction :

 Lorsque une personne commet un crime, il nous semble aller de soi qu’elle réponde de son geste devant la justice. Cela suppose qu’elle est l’élément « moteur », l’agent de cette action : tuer. Mais il peut arriver qu’en prenant conscience de son passé ou bien des conditions dans lesquelles les faits se sont déroulés, ce rapport déterminant entre un sujet et une action se « brouille » un peu : nous apprenons, par exemple, que cet homme, mari trompé, a tué l’amant de son épouse, sous le coup de la colère, ou bien encore que cette femme a tué son époux qui la battait chaque soir. Finalement ce dont doivent répondre ces deux meurtriers, ce n’est pas d’un acte qu’ils ont pris la décision de faire, mais au contraire de n’avoir pas pu prendre la distance nécessaire par rapport à leurs émotions et de ne s’être pas comporté comme des sujets libres. En d’autres termes, le Droit leur reproche de n’avoir pas été ce qu’il est absolument nécessaire qu’ils soient pour qu’il y ait du Droit : à savoir responsables de leurs actes. « Nul n’est censé ignorer la loi » dit aussi une célèbre maxime pénale, c’est-à-dire qu’aucun accusé ne peut se défendre en invoquant l’ignorance des lois. Pour qu’il y ait du droit, il faut donc que nous partions de ce faux principe qu’est l’omniscience du droit de tous les citoyens, ce qui est évidemment une fiction. Mais l’hypothèse d’un sujet libre et responsable n’est-elle pas elle aussi une illusion juridique ? Nous ne voyons pas comment une société pourrait se constituer sans assurer pour chacun de nous la puissance de décider de sa propre vie, mais en même temps, nous réalisons que ce projet s’appuie sur une capacité à revendiquer l’entière responsabilité de ses actions sans que cette capacité soit vraiment certaine. La liberté du citoyen est-elle le fondement authentique de toute société de droit ou au contraire la fiction dont le droit a besoin pour régir la société en postulant la responsabilité de chacun de ses membres ?

A la fin de notre introduction, la formulation de notre problématique (ici en gras) montre le « chemin que nous avons parcouru » depuis l’instant pendant lequel nous avons pris connaissance du sujet. Cela signifie que des l’introduction, le correcteur de notre copie pourra juger de notre volonté et de notre capacité à foncer tête baissée vers ce qui pose problème et à le formuler le plus clairement possible. Cette phase est donc cruciale (il faut lui consacrer du temps) : elle permet de faire la différence entre les candidats qui veulent éviter le problème (hors sujet) et ceux qui ont compris qu’il fallait s’y investir avec un certain sens du paradoxe ainsi qu’une ferme volonté d’élucidation.
3)    Construire un plan (introduire des références à des textes)

Il convient de ne pas s’enfermer dans un plan conçu trop tôt. Une fois que nous avons compris le sujet, c’est-à-dire vu à quel point le problème qu’il contient est profond, insoluble. Il faut structurer l’exploration que nous allons faire de cette profondeur là, distinguer les « strates » de cette difficulté, de cette insolubilité. C’est à cela que sert le plan mais il doit rester dynamique, pris dans le mouvement d’une pensée qui ne cesse d’avancer, de remettre en cause, de chercher, quitte à ce que nous modifions le plan en cours de route. Toute dissertation est une réflexion en acte. Il serait vraiment dommage de réfléchir seulement au début de l’épreuve pour ne faire que recopier ensuite car toute pensée capable de se concentrer quatre heures de suite sur un sujet finit nécessairement par formuler des idées pertinentes sur la question posée, quelque soit, par ailleurs la culture ou les plus ou moins grandes facilités d’écriture du candidat. Ce point est vraiment fondamental. L’épreuve de philosophie est avant tout une question d’endurance et de concentration : pouvons-nous passer quatre heures de suite à approfondir une seule question, à parcourir les nuances, les paradoxes et les complications d’une seule interrogation ?

Mais alors à quoi sert le plan, s’il est possible de le faire évoluer en cours de route ? Il y a des directions suffisamment décisives et vastes pour ne pas pouvoir changer, au gré de notre réflexion. Nous pouvons réaliser des aspects nouveaux d’un problème à l’intérieur d’un cadre donné. Rédiger un plan nous permet d’aiguiller notre pensée vers les bons « embranchements », en nous assurant que notre traitement jouira d’une certaine « globalité ».  Il nous faut traiter « rien que le sujet » et pour autant que nous puissions nous rapprocher de cet idéal : « tout le sujet » (faire du moins tout notre possible dans ce sens). Rédiger un plan revient donc à faire la synthèse entre ce « rien que » et ce « tout ».

Considérons le sujet : « Y-a-t-il une vertu spécifiquement politique ? » Le problème est le suivant : « peut-on concevoir le politique comme un domaine d’activités humaines suffisamment  déterminant pour justifier « tout », c’est-à-dire pour valoir, au-delà de la morale, comme critère de nos actes ? Peut-on accepter qu’une action moralement, juridiquement et humainement inacceptable soit cependant promue, choisie au nom d’un intérêt supérieur justifiable politiquement ? (exemple : il n’est pas moralement défendable d’empêcher les proches d’une personne décédée de lui rendre les honneurs funéraires mais il peut être habile politiquement de le déclarer traître à sa patrie s’il vient de perdre une guerre civile de façon à ce que la paix se fasse sur la visibilité de son cadavre (sa dépouille n’est pas autorisée à enrichir la terre de nos ancêtres). « Malheurs aux vaincus » surtout si cela permet aux survivants de reconstruire une paix civile. C’est le point de vue de Créon dans la pièce de Sophocle : « Antigone »)
Le sujet est plus clair maintenant : peut-on accepter l’idée qu’il y ait une conception politique du Bien au nom de laquelle nous pourrions museler, détruire ou instrumentaliser la notion pure, morale du Bien. Jusqu’où pouvons-nous aller dans cette idée que le bien politique justifie tout ?

Il convient d’abord de montrer les forces en présence dans cette question, d’opposer le oui et le non. Mais il faut aussi nous interroger, nous sonder nous-mêmes pour avoir une idée même confuse ou encore incertaine à ce moment de notre travail (nous n’en sommes encore qu’au début) de ce qui nous semble le plus pertinent, de la réponse qui nous paraît la plus profonde, la mieux argumentée, la plus convaincante et surtout la plus subtile. Supposons que nous nous sentions à la fois davantage porté mais aussi philosophiquement armé pour répondre « Non », un plan se dessine alors dans ses très grandes lignes. Il nous faut commencer par un « non » assez classique, simple, appuyé sur des auteurs fondamentaux auquel nous pourrons opposer dans un second temps un « oui » suffisamment solide pour ébranler les éléments avancés dans la première partie. La troisième partie apparaîtra alors  comme une prise de position capable de dépasser les arguments de ce « oui », parce qu’allant plus loin que les thèses avancées dans la partie 1. L’essentiel est ici de marquer une progression. Le paragraphe qui succède à un autre est forcément plus intéressant que lui, il va plus loin, il approfondit le problème, il interroge un aspect que le précédent n’avait pas vu.
C’est ici que le fait d’être porté par des références vues pendant l’année constitue une aide précieuse, comme des passants qui nous confirmeraient que nous suivons le bon chemin (il faudra utiliser bien évidemment utiliser dans notre dissertation les indications données par ces « passants »). Il se peut que le souvenir de la pensée de tel ou tel auteur ne vienne pas tout de suite et ce n’est pas grave mais il faut savoir que la référence à des philosophes est un atout crucial qui aura une poids certain dans la note qui nous sera attribuée.
Un plan commence à se dessiner :
1) Il n’y a pas de vertu spécifiquement politique
a) Pour qu’il y ait une vertu spécifiquement politique, il faudrait que nous soyons des citoyens avant d’être des hommes, mais il existe des devoirs auxquels nous sommes tenus en tant qu’être humains. C’est finalement tout ce qui fait la résistance d’Antigone à Créon : le pouvoir du roi de Thèbes (droit positif) s’arrête là où commence nos obligations envers ce qu’Antigone appelle les lois des Dieux (droit naturel). On ne peut pas tout sacrifier au bien de sa cité parce qu’au-delà de la paix civile, il y a le rapport de notre conscience à un droit naturel, plus « sacré » que celui de notre inscription de citoyen d’un Etat.

b) En même temps, il ne faut pas sous-estimer ce que nous devons à cette inscription, c’est en tant que citoyen que nous éveillons à notre statut d’être libre, conscient, pensant par lui-même. Nous sommes fondamentalement des êtres liés à l’intégration de notre existence dans une organisation politique (au sens grec du terme Polis : cité). Aristote soutient que : « L’homme est un animal politique », c’est-à-dire que ce n’est qu’au sein de la cité, d’un vivre ensemble que nous pouvons développer et parvenir à l’excellence de tout ce qu’induit notre humanité. Mais ce n’est pas parce que l’homme ne peut s’accomplir en tant qu’homme que dans la cité qu’il existe un bien politique qui devrait l’emporter du le bien moral. C’est même le contraire qui est vrai : le bien politique est le moyen en vue de réaliser notre statut humain, l’excellence de ce que nous sommes, de ce en vue de quoi nous sommes faits : la raison.
2) Il y a une vertu spécifiquement politique
a) Mais pouvons-nous vraiment parvenir à cet accomplissement de soi sans nous identifier profondément à une nation (distinction entre l’état et la nation) ? Avec Carl Schmitt , théoricien politique du 3e Reich, nous allons très loin dans la nécessité pour tout être humain de s’ancrer dans les racines de son peuple, d’éprouver dans la guerre et l’opposition aux autres peuples, la dimension fondamentale de son existence. Il y a une vertu spécifiquement politique parce qu’il n’est rien de plus authentique selon lui que ce rattachement viscéral aux valeurs distinctives de notre nation.
b) Il nous a été donné historiquement de voir le résultat d’une telle doctrine. L’idée qu’il existe une vertu spécifiquement politique peut prétendre à une pertinence qui dépasse largement de tels dévoiements du politique. Machiavel dans « le prince » développe des thèses autrement plus convaincantes en faveur d’une vertu spécifiquement politique, notamment en réinterrogeant l’origine étymologique du mot vertu (latin vir : « la force »). La « virtu » selon machiavel c’est ce qu’un Prince doit cultiver pour rester au pouvoir et surtout maintenir la cohérence d’une unité politique, laquelle prévaut sur toute autre considération. Aucun homme politique ne peut assurer la cohésion d’un Etat sans user d’habileté, de ruse, de duplicité :

« Il est sans doute très louable aux princes d'être fidèles à leurs engagements ; mais parmi ceux de notre temps qu'on a vu faire de grandes choses, il en est peu qui se soient piqués de cette fidélité, et qui se soient fait un scrupule de tromper ceux qui se reposaient en leur loyauté.
Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une avec des lois, l'autre avec la force. La première est propre aux hommes, l'autre nous est commune avec les bêtes ; mais lorsque les lois sont impuissantes, il faut bien recourir à la force ; un prince doit savoir combattre avec ces deux espèces d'armes [...].
Or les animaux dont le prince doit savoir revêtir les formes sont le renard et le lion. Le premier se défend mal contre le loup, et l'autre donne facilement dans les pièges qu'on lui tend. Le prince apprendra du premier à être adroit, et de l'autre à être fort.
Ceux qui dédaignent le rôle de renard n'entendent guère leur métier ; en d'autres termes un prince prudent ne peut ni ne doit tenir sa parole, que lorsqu'il le peut sans se faire tort, et que les circonstances dans lesquelles il a contracté un engagement subsistent encore.
Je n'aurais garde de donner un tel précepte, si tous les hommes étaient bons; mais comme ils sont tous méchants et toujours prêts à manquer à leur parole, le prince ne doit pas se piquer d'être le plus fidèle à la sienne ; et ce manque de foi est toujours facile à justifier. Je pourrais donner dix preuves pour une, et montrer combien d'engagements et de traités ont été rompus par l'infidélité des princes, dont le plus heureux est toujours celui qui sait le mieux se couvrir de la peau du renard. Le point est de bien jouer son rôle, et de savoir à propos feindre et dissimuler. Et les hommes sont si simples et si faibles que celui qui veut tromper trouve aisément des dupes. »
Machiavel - Le prince
3) Il n’y a pas de vertu spécifiquement politique mais il y a un cosmopolitisme de la vertu (Kant)
Les conseils de Machiavel sont très avisés et pertinents. Ils révèlent une connaissance profonde de la nature humaine, mais ils partent peut-être un peu trop rapidement de l’idée qu’il y en a une. Que les hommes soient toujours méchants et prêts à manquer à leur parole, c’est ce qu’ils ont montré jusqu’ici mais n’est-ce pas justement parce que nous les avons toujours connus maintenus sous la tutelle du politique ?

D’autre part, les thèses de Machiavel ne valent que dans les limites d’un état. A Aristote qui affirme qu’il n’y a de politique, de cité qu’en vue d’accomplir la vertu, Machiavel répond qu’il n’y a de vertu qu’à l’intérieur du politique, mais ce politique est lui-même limité aux frontières d’un état. Ne serait-il pas possible de concilier ces deux positions en concédant à Machiavel qu’il ne peut exister de vertu que politiquement mais à Aristote que cette politique ne peut valoir que soumise à une finalité humaine, raisonnable donc universelle ? C’est avec Emmanuel Kant que nous pouvons envisager une telle conciliation car après tout son célèbre impératif catégorique : « "Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle" est aussi politique que moral, mais il l’est « cosmo-politiquement ». La question que nous devons nous poser pour poser la valeur morale de nos décisions est celle de savoir si nous pouvons vouloir que « la cité humaine » se constitue sur cette base là, sur le respect de cette loi. Finalement, lorsque nous poussons jusqu’à sa limite la réflexion sur ce qu’est un acte moral, une actien vertueuse (ce que fait Kant), nous aboutissons à un impératif de cosmopolitisme : la maxime de mon action peut-elle faire de moi le législateur d’un monde agissant conformément à cette maxime ?

4)    Ecrire (savoir faire des transitions)

Pourquoi les enseignants de Philosophie insistent-ils autant sur les transitions de partie à partie de paragraphe à paragraphe ? Parce qu’elles sont la preuve indiscutable que nous sommes en train de traiter un problème et non de « caser des auteurs ». Il faut qu’une pensée s’active sur un sujet et non qu’une tête bien pleine comme dirait Montaigne déverse sur la copie toutes les connaissances qu’en « oie bien gavée » elle s’est contrainte inutilement à avaler. Toute transition manifeste le primat que vous accordez là maintenant, dans l’instant de la réflexion au sujet par rapport au rappel automatique de tel ou tel auteur. C’est tout ce qui distingue une pensée autonome d’un pilote automatique. Si nous écrivons maintenant ce paragraphe c’est parce qu’il suit les implications du précédent. Une dissertation, c’est un processus « d’enfantement continué » tout au long duquel nous ne cessons de faire accoucher chaque paragraphe de tout ce potentiel de sens, de consécution logique contenu en lui. Une implication peut parfois se révéler tellement vide, ou irrecevable que nous nous devons d’explorer une autre direction, voire la direction contraire mais ce sera toujours le trajet d’une réflexion qui aura déterminé cette inflexion et cela doit se percevoir dans nos transitions.
Votre pensée suit son propre mouvement et c’est pour cela que vous faites des transitions, et non pour « passer » dune partie à une autre parce que votre « supposé plan » l’exigerait. C’est la raison pour laquelle les formulations suivantes sont à éviter absolument : « nous allons maintenant développer la deuxième partie » ou « maintenant que nous avons vu le « oui », explorons le « non » ».


Soit le sujet : « Méritons-nous d’être aimé(e) ? », le problème posé est celui de savoir si l’amour qui est un sentiment peut s’appuyer, voire être provoqué par un jugement au terme duquel nous considérerions une personne comme «étant « digne » de notre amour. Supposons que nous ayons d’abord défendu l’idée selon laquelle l’amour est un sentiment irrationnel, incompréhensible se produisant indépendamment de toute référence à un modèle, à un devoir, à la morale. Comment rédiger la transition à la partie qui va prendre le contre-pied de la précédente ? L’une des meilleures méthodes de transition consiste dans le questionnement. Si l’on suit les implications de la thèse précédente, nous aboutissons à des conséquences ultimes, assez difficiles à accepter.

Mais si l’amour ne connaît ni la raison, ni la reconnaissance,  ni le mérite, alors cela signifie que notre affection n’est aucunement motivée par le mouvement libre d’une volonté attirée par un objet avec lequel elle souhaite s’unir de son plein gré. Nous sommes séduits, c’est-à-dire aveuglés (étymologie « se ducere » : être dévié du droit chemin) par une personne dont nous ne percevons pas la légitimité à être, pour nous, l’objet de notre amour. Une telle attraction a-t-elle encore un sens ? Pouvons-nous vraiment concevoir que quelque chose s’y accomplisse si c’est sans le vouloir, voire sans le savoir que nous y « cédons » ? (nous n’avons plus qu’à développer ensuite un paragraphe qui défendra la réponse non à cette dernière question)

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