jeudi 3 décembre 2015

La question de la culture animale: Pascal vs Frans De Waal



" Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu'aujourd'hui et chacune d'elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière, il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte[1]. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse[2] , mais cette science fragile se perd avec les besoins qu'ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude, ils n'ont pas le bonheur de la conserver, et toutes les fois qu'elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n'ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours, de peur qu'ils ne tombent dans le dépérissement[3], et ne permet pas qu'ils y ajoutent, de peur que qu'ils ne passent les limites qu'elle leur a prescrites. Il n'en est pas de même de l'homme, qui n'est produit que pour l'infinité. Il est dans l'ignorance au premier âge de sa vie, mais il s'instruit sans cesse dans son progrès car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu'il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en ont laissés. "
                                                                                                     Pascal (1623 – 1662)

1)    Sur un tableau de deux colonnes, comparez les caractéristiques de « la science fragile » des animaux d’un côté et celles des connaissances humaines de l’autre, selon Pascal :

« Savoir faire » des animaux                        Savoir faire des humains








2)    Quel est, selon Pascal, le critère fondamental de distinction entre la science fragile des animaux et les connaissances humains ?

3)      Voici l’extrait d’une interview de Frans de Waal (né en 1948), éthologue néerlandais, spécialiste de l’étude du comportement des primates.   
-       « Il existerait donc une culture animale ?

-       Je pense qu'on peut parler de culture animale à partir du moment où des savoirs, des techniques nouvelles, des préférences, des habitudes se transmettent entre membres d'une même famille ou entre proches. C'est une transmission comportementale non génétique. Et deux groupes d'une même espèce peuvent adopter des comportements différents ; ces choses sont apprises socialement. En principe, cela s'applique à tous les animaux : les oiseaux, les poissons, mais on le trouve plus facilement chez les dauphins, les grands singes. La survie des animaux en liberté dépend aussi de ce qu'ils apprennent des autres, ils tirent profit d'un savoir accumulé : la transmission de l'information est aussi importante pour eux que pour nous. Ils sont dépendants de cette culture transmise. La distinction conceptuelle entre culture et nature n'existe pas pour moi.
-       Cette idée de culture animale est d'abord venue d'Orient. Comment l'expliquez-vous?

-       Le concept de culture est très lié à l'idée que nous, hommes, avons creusé l'écart avec le monde animal. Mais, au Japon, dans les années 50, un primatologue, Imanishi, a spéculé sur le fait que les animaux pouvaient avoir une culture. Pour lui, on ne peut considérer tout comportement animal comme instinctif et tout comportement humain comme culturel. Dans la pensée orientale, il n'existe pas le même dualisme homme/animal, et Imanishi ne considérait pas l'espèce humaine comme à part ; il n'a donc pas été troublé par l'idée de l'évolution ou par celle que les hommes pourraient descendre du singe. Les primatologues occidentaux, eux, reprochaient aux Japonais de ne pas avoir d'idée, d'être de simples collecteurs de données. Or ce sont eux qui ont commencé à voir les choses dans une autre perspective. La religion y joue un grand rôle : l'esprit n'est pas réservé à l'homme, il peut habiter un animal, aller de l'un à l'autre.  Les élèves d'Imanishi ont découvert le premier exemple de culture animale sur l'île de Koshima. Là, les habitants donnaient des patates douces à manger aux macaques, et une jeune femelle, Imo, a commencé à laver ses pommes de terre, ce qui n'avait rien d'extraordinaire. Mais ses amis et sa mère l'ont imitée. Cinq ans plus tard, les trois quarts des juvéniles et les jeunes adultes lavaient régulièrement leurs patates douces. Cela correspond à ce que j'appelle de l'apprentissage social. Les mâles plus âgés n'ont jamais adopté la technique.
-       N'est-ce pas un peu rapide pour parler de comportement culturel ? Ne s'agit-il pas d'une simple imitation ?

-       En l'occurrence, on parle d'observation learning, c'est plus que de l'imitation. Prenons l'exemple de la machine à café. Premier stade, j'apprends que c'est un endroit où je peux obtenir une boisson, c'est une réponse à la stimulation, la forme la plus simple d'apprentissage. Si je regarde pour connaître la technique et la reproduis : mettre la pièce, appuyer sur le bouton, etc., c'est de l'imitation, et si quelqu'un m'explique : «Frans, tu dois faire comme ça», c'est le teaching, l'enseignement, la forme la plus aboutie de la transmission. Certains prétendent que cet enseignement est réservé aux hommes, que l'imitation est rare chez les animaux, alors que la simple réponse à la stimulation est très répandue. Selon eux, seules certaines formes d'apprentissage permettent la culture, qui ne peut exister sans imitation et enseignement. A mes yeux, cette définition est trop restrictive : ce qui est imitation pour un scientifique sera stimulation pour l'autre ou facilitation pour un troisième. Prenons l'exemple du nuts cracking (craquer des noix pour en extraire le fruit), le cassage de noix par les chimpanzés, avec les travaux de Christophe Boesch, primatologue qui travaille en forêt de Tai en Côte-d'Ivoire. Pour extraire les amandes des noix, les chimpanzés tapent d'abord très fort avec de lourdes pierres, puis avec des coups plus délicats, puis, parfois, ils extraient les fragments d'amande avec une baguette. Certaines communautés de chimpanzés savent le faire, d'autres non, ce qui prouve bien que cela n’a aucun rapport avec des aptitudes inscrites dans le patrimoine génétique d’une espèce. Le « nuts cracking » ou le lavage des patates sont des traditions, c'est-à-dire des comportements ou des habitudes transmises. Il existe nombre d'animaux chez lesquels on trouve une ou deux traditions. Chez les chimpanzés en Afrique, on a relevé jusqu'à 39 traditions ! Quand il y en a autant, on peut commencer à parler de culture. » 

a)    Quelle est la définition de la culture donnée par Frans de Waal ? 

b)    Les premiers éthologues à avoir évoqué la notion de « culture animale » sont japonais, orientaux. Pourquoi n’est-ce pas du tout un hasard ?
c)    Pour faire comprendre la différence entre répondre à un besoin, imiter et apprendre, Frans de Waal utilise l’exemple de la machine à café. Reprenez cet exemple en distinguant les étapes suivantes :
-       Répondre à la stimulation (besoin)
-       Faire les gestes pour avoir mon café (imitation)
-       Retenir le mode d’utilisation de la machine expliqué par une autre personne (apprentissage) 
d)    De quelles capacités faut-il bénéficier pour réaliser la troisième ? Pourquoi certains éthologues considèrent-ils que les animaux possèdent la première, quelques-uns la deuxième mais aucun la troisième ? Qu’est-ce que cela nous fait comprendre sur la notion de « culture » ?
e)    Qu’est-ce qui prouve que la capacité à craquer des noix pour en extraire le fruit n’est pas une aptitude instinctive  des chimpanzés de côte d’ivoire ? 
f)     Poursuivez ce dialogue imaginaire entre Pascal et Frans de Waal :
Pascal : - L’animal est maintenu dans un état de perfection bornée par la nature alors que l’homme est fait pour l’infinité.
Frans de Waal : - Non, c’est un préjugé. Il faut se détacher de cette idée toute faite de la supériorité de l’homme sur l’animal pour observer objectivement le comportement des animaux.
-       Mais de quel préjugé me parlez-vous ? La mémoire des êtres humains n’est pas un préjugé.
-      


[1] Occulte : obscur, inconscient et « aveugle »
[2] La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse : la nature donne aux abeilles l’instinct de construire des cellules pour répondre à la nécessité vitale de recueillir le pollen afin de ne pas mourir. C’est un « savoir faire » inné et « immédiat ».
[3] Dépérissement : ici le fait de ne plus trouver de moyens de se nourrir et donc de mourir

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