mardi 19 janvier 2016

"Pouvons-nous lutter contre la bêtise?" - Utiliser des références


 (Il est possible d’articuler son plan autour de deux conceptions de la bêtise selon que nous la considérions comme un manque, un défaut ou bien comme une faculté à part entière. Prenons un exemple : pour le sens commun, l’oubli est un manque de mémoire mais Friedrich Nietzsche défend au contraire l’idée selon laquelle elle est une aptitude à part entière, avec une dynamique propre. On peut ici se poser la même question car elle est décisive pour le traitement du sujet : si, en effet, la bêtise est seulement manque de courage et de force (comme Kant le pense), il est évidemment possible de lutter contre la bêtise, et le mot « lutter » est vraiment justifié (puisque il s’agit d’avoir de la force), mais si la bêtise n’est pas un manque de pensée, ni un manque de force ou d’esprit méthodique pour mener « correctement » sa pensée, alors elle devient une catégorie de la pensée, quelque chose qui « agit » sournoisement en nous et dont il faut se méfier (c’est là ce que pensent Flaubert, Roland Barthes, Gilles Deleuze). Pour bien comprendre cette distinction entre l’erreur et la bêtise, il suffit de se représenter la différence entre un élève qui, en cours de philosophie, dirait que « Je pense donc je suis » est une citation d’Emmanuel Kant (il fait une erreur) et cet autre qui affirmerait que les femmes ne sont pas faites pour conduire une voiture (il fait preuve de bêtise, mais il affirme une « thèse »)

1)    Distinguez l’erreur et la bêtise

2)    « La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’un aussi grand nombre d’hommes préfèrent rester mineurs leur vie durant, longtemps après que la nature les a affranchis de toute direction étrangère ; et ces mêmes causes font qu’il devient si facile à d’autres de se prétendre leurs tuteurs. Il est si aisé d’être mineur ! Avec un livre qui tient lieu d’entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge pour moi de mon régime, etc, je n’ai vraiment pas besoin de me donner moi-même de la peine. Il ne m’est pas nécessaire de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien pour moi de cette ennuyeuse besogne. Les tuteurs, qui se sont très aimablement chargés d’exercer sur eux leur haute direction, ne manquent pas de faire que les hommes, de loin les plus nombreux (avec le beau sexe tout entier), tiennent pour très dangereux le pas vers la majorité, qui est déjà en lui-même pénible. Après avoir abêti leur bétail et avoir soigneusement pris garde de ne pas permettre à ces tranquilles créatures d’oser faire le moindre pas hors du chariot où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules »                       Emmanuel Kant « Qu’est-ce que  les Lumières ? »



a)    Définissez avec précision ce que signifient, dans le texte, les termes de « mineur », « tuteur », « majorité ».
b)    Reprenez les exemples utilisés par Kant (un livre, un directeur de conscience, un médecin). Que veut dire l’auteur ? le constat de Kant s’applique-t-il aux hommes d’aujourd’hui ? Justifiez votre réponse.
c)    Pour Kant, que faut-il faire pour lutter contre la bêtise ?




3)    « Le bon sens est la chose la mieux partagée car chacun pense en être si bien pourvu, que même ceux qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et de distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tout homme ; et qu'ainsi la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est l'appliquer bien. »
                                          René Descartes -  « Le discours de la méthode »
a)    Expliquez la première phrase du texte. Descartes pense-t-il que tous les hommes font preuve de bon sens ?
b)    En quoi consiste la différence entre les hommes raisonnables et les hommes bêtes ? Distinguez clairement le sens des expressions : « avoir l’esprit bon » « l’appliquer bien » ?
c)    Comment pouvons-nous lutter contre la bêtise selon Descartes ?


4)    « Faire du tort à la bêtise. – À coup sûr, la croyance au caractère condamnable de l’égoïsme, que l’on a prêchée avec tant d’acharnement et de conviction, a dans l’ensemble fait du tort à l’égoïsme (au profit comme je le répéterai cent fois, des instincts du troupeau !), notamment en lui ôtant la bonne conscience et en prescrivant de chercher en lui la source véritable de tout malheur. « Ton égoïsme est le malheur de ta vie » – Voilà ce que l’on entendit prêcher durant des millénaires : cela a fait du tort, comme on l’a dit, à l’égoïsme et lui a ôté beaucoup d’esprit, beaucoup de gaieté d’esprit, beaucoup d’inventivité, beaucoup de beauté, cela a abêti, enlaidi et empoisonné l’égoïsme ! – L’antiquité philosophique professa en revanche l’existence d’une autre source essentielle du malheur : à partir de Socrate, les penseurs ne se lassèrent jamais de prêcher : « votre manque de pensée et votre bêtise, votre manière de vivoter en suivant la règle, votre soumission à l’opinion du voisin voilà la raison pour laquelle vous parvenez si rarement au bonheur, – nous, penseurs, sommes, en tant que penseurs, les plus heureux. » Ne tranchons pas la question de savoir si cette prédication dirigée contre la bêtise avait pour elle de meilleures raisons que la prédication dirigée contre l’égoïsme : mais à coup sûr, elle sut ôter la bonne conscience à la bêtise : – ces philosophes ont fait du tort à la bêtise. »
                                           F. Nietzsche, Le gai savoir, 4e partie, § 328.

a) Qu’est-ce qui intéresse Nietzsche dans ce texte : critiquer l’égoïsme ou désigner le pouvoir de nuisance d’une forme de pensée contre l’égoïsme ? En quoi consiste exactement cette « forme de pensée » ?
b) Les philosophes de l’antiquité (Socrate, Platon, etc.) ont nui à la bêtise, de quelle façon ? Comment Nietzsche définit-il la bêtise ?
c) Faire du tort à la bêtise : est-ce lutter contre elle ?

5) « Tricher la langue - Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Si l'on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c'est un huis clos (…) A nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu'à tricher avec la langue, qu'à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d'une révolution permanente du langage, je l'appelle pour ma part : littérature. »                    Roland Barthes
Voici trois exemples différents de « tricherie littéraire » de la langue. Pour chacun d’eux, définissez précisément en quoi consiste la tricherie, c’est-à-dire ce que l’auteur fait subir à la langue et de quelle façon, selon vous, ces distorsions de la langue nuisent à la bêtise :

a)    L’écriture automatique, pratiquée par le surréalisme :
« Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu'à chaque seconde il est une phrase étrangère à notre pensée consciente qui ne demande qu'à s'extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de l'autre, si l'on admet que le fait d'avoir écrit la première entraîne un minimum de perception. Peu doit vous importer, d'ailleurs ; c'est en cela que réside, pour la plus grande part, l'intérêt du jeu surréaliste. Toujours est-il que la ponctuation s'oppose sans doute à la continuité absolue de la coulée qui nous occupe, bien qu'elle paraisse aussi nécessaire que la distribution des nœuds sur une corde vivante. Continuez autant qu'il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable du murmure. Si le silence menace de s'établir pour peu que vous ayez commis une faute : une faute, peut-on dire, d'inattention, rompez sans hésiter avec une ligne claire. A la suite du mot dont l'origine vous semble suspecte, posez une lettre quelconque, la lettre l, et ramenez l'arbitraire en imposant cette lettre pour initiale au mot qui suivra. »
                                                                                 André Breton

b)    « Les animaux se décomposent en a) appartenant à l'Empereur b) embaumés c) apprivoisés d) cochons de lait e) sirènes f) fabuleux g) chinchards h) chiens en liberté i) inclus dans la présente classification j) qui s'agitent comme des fous k) innombrables l) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau m) qui viennent de casser la cruche n) qui de loin semblent des mouches o) autres... »
                                                          L’encyclopédie chinoise -  José-Luis Borges


c)

 « je te flore /
tu me faune /
je te peau / je te porte / et te fenêtre /
tu m’os / tu m’océan / tu m’audace / tu me météorite /
je te clé d’or / je t’extraordinaire / tu me paroxysme / tu me paroxysme / et me paradoxe / je te clavecin / tu me silencieusement / tu me miroir / je te montre / tu me mirage / tu m’oasis / tu m’oiseau / tu m’insecte / tu me cataracte / je te lune / tu me nuage / tu me marée haute / je te transparente / tu me pénombre / tu me translucide / tu me château vide / et me labyrinthe / tu me parallaxes / et me parabole / tu me debout / et couché / tu m’oblique / je t’équinoxe / je te poète / tu me danse / je te particulier / tu me perpendiculaire / et sous pente / tu me visible / tu me silhouette / tu m’infiniment / tu m’indivisible / tu m’ironie / je te fragile / je t’ardente / je te phonétiquement / tu me hiéroglyphe / tu m’espace / tu me cascade / je te cascade à mon tour / mais toi / tu me fluide / tu m’étoile filante / tu me volcanique /  nous nous pulvérisable / nous nous scandaleusement / jour et nuit / nous nous aujourd’hui même / tu me tangente / je te concentrique / concentrique / tu me soluble / tu m’insoluble / en m’asphyxiant / et me libératrice / tu me pulsatrice / pulsatrice / tu me vertige / tu m’extase / tu me passionnément / tu m’absolu / je t’absente / tu m’absurde / je te marine / je te chevelure / je te hanche / tu me hantes / je te poitrine / je buste ta poitrine / puis ton visage / je te corsage / tu m’odeur / tu me vertige / tu glisses / je te cuisse / je te caresse / je te frissonne / tu m’enjambes / tu m’insupportable / je t’amazone / je te gorge / je te ventre / je te jupe / je te jarretelle / je te peins / je te bach / pour clavecin / sein / et flûte / je te tremblante / tu m’as séduit / tu m’absorbes / je te dispute / je te risque / je te grimpe / tu me frôles / je te nage / mais toi / tu me tourbillonnes / tu m’effleures / tu me cerne / tu me chair cuir peau et morsure / tu me slip noir / tu me ballerine rouge / et quand tu ne haut talon pas mes sens / tu es crocodile / tu es phoque / tu es fascine / tu me couvres / et je te découvre / je t’invente / parfois / tu te livres / tu me lèvre humide / je te délivre / je te délire / tu me délire / et passionne / je t’épaule / je te vertèbre / je te cheville / je te cil et pupille / et si je n’omoplate pas / avant mes poumons / même à distance / tu m’aisselle / je te respire / jour et nuit / je te respire / je te bouche / je te baleine / je te dent / je te griffe / je te vulve / je te paupière / je te haleine / je t’aime / je te sens / je te cou / je te molaire / je te certitude / je te joue / je te veine / je te main / je te sueur / je te langue / je te nuque / je te navigue / je t’ombre / je te corps / je te fantôme /
je te rétine / dans mon souffle / tu t’iris /
je t’écris /
tu me penses »
                                                            « Prendre corps » – Ghérasim Luca
(Pour ce dernier exemple de tricherie, il peut être intéressant de citer toutes les règles de syntaxe « enfreintes » par ce poème)

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