mercredi 8 juin 2016

Quelques remarques à une semaine de l'épreuve de Philosophie du Baccalauréat


Comment préparer l’épreuve de Philosophie qui débutera dans une semaine ? En faisant des fiches, en relisant les cours, les textes, etc. ? Non, ce qu’il s’agit de faire maintenant, c’est écrire. Plus on suspend la préparation d’un examen à des conditionnels, plus on s’écarte de la seule voie efficace qui consiste simplement à travailler, à tester sa capacité d’écrire, en un temps limité, sur un sujet précis. Lequel ? Peu importe finalement. Il suffit que ce soit un sujet crédible, susceptible de « tomber » et qu’il vous semble particulièrement difficile, voire infaisable. On peut spéculer des heures et des heures sur la question de savoir ce qui peut sortir ou pas, si le correcteur sera sympathique ou non, si les thèmes vous plairont, etc. Ou bien vous pouvez tout simplement réaliser qu’il ne va rien se passer de spectaculaire, d’inattendu. Vous allez rentrer dans une salle, vous asseoir à la table qui portera votre nom et réfléchir pendant quatre heures sur l’un des sujets qui vous seront proposés. Tout le reste, c’est du temps perdu en suppositions. Placez-vous dés à présent dans les circonstances de l’épreuve. Asseyez-vous à votre table de travail. Demandez à n’être pas dérangé et donnez vous un sujet ou un texte à travailler.
Accordez-vous deux heures. C’est le temps qui vous sera nécessaire, mercredi prochain pour rédiger au brouillon les premières idées qui vous viendront, ébaucher un plan, faire une introduction et commencer à écrire « au propre » la version finale (si possible la première partie). Contrairement à une idée reçue, la philosophie n’est pas du tout une matière d’inspiration, c’est davantage un travail d’enchaînement et la mise en application d’un esprit de nuances, de problématisation et d’implication.


Un sujet intéressant est une question qui suscite moins en vous le désir de répondre que la compréhension de tous les sens différents ou de toutes les inflexions subtiles qui font changer la signification de l’interrogation. « On peut prendre le sujet comme ça, ou comme ça, ou alors comme ça…mais alors cela renvoie à une question politique ou scientifique ou morale, etc… On n’en aura jamais fini… » Si vous prenez conscience de cette multitude de strates, de l’épaisseur problématique d’une simple interrogation qui, de prime abord, n’avait l’air de rien, c’est que vous n’êtes pas en train de faire un hors sujet. C’est donc extrêmement encourageant. Plus il vous semble que le sujet déploie une réflexion dont on ne peut pas se sortir, plus vous êtes en train de faire du bon, du très bon travail.
Prenons par exemple le sujet suivant : « Y-a-t-il une vertu spécifiquement politique ? » Si vous vous questionnez seulement sur le problème qui consiste à se demander si la politique peut être vertueuse, vous loupez complètement le sujet qui réside finalement en très grande partie dans l’adverbe « spécifiquement ». Peut-on dire de la politique qu’elle constitue un domaine, un territoire suffisamment important, essentiel, fondamental pour se justifier par elle-même ? Suffit-il qu’une action se justifie politiquement pour qu’elle soit finalement justifiée tout court ? Le terme de « vertu » revêt en lui-même une connotation morale (être vertueux). Il suffit donc de lire de sujet mais surtout de ne pas passer à côté du double sens de ce terme. On dit par exemple d’une plante qu’elle a des vertus médicinales quand elle possède des qualités curatives. De la même façon y-a-t-il un « bien » en politique qui justifie tout ? Suffit-il qu’une action soit nécessaire politiquement pour qu’elle soit légitime, même si elle est totalement contraire à la morale ? On mesure ainsi la profondeur du sujet : la question n’est pas de savoir si certaines actions peuvent être considérées comme politiquement bonnes (évidemment oui) mais si tout ce qui relève du gouvernement d’une cité ou d’un état, de l’autorité civile, des lois, de la gestion des intérêts particuliers par rapport à l’intérêt général délimite une sphère d’action suffisamment « vitale », auto-fondatrice, pour que la question morale soit suspendue, mise entre parenthèses par rapport à cette nécessité première. Il ne faut jamais sous-estimer la dimension problématique d’une question. C’est exactement dans la mesure où l’on ne voit pas de problème qu’il y a vraiment un problème dans votre façon de prendre le sujet. C’est à cette aptitude à relever cette épaisseur problématique d’une question qu’il faut s’entraîner maintenant.

Soit par exemple cet autre sujet : « avons-nous besoin de travailler ? » Il est absolument impossible d’interpréter ce sujet comme une simple interrogation sur la question de savoir si nous avons besoin de gagner de l’argent pour vivre. Finalement le sujet nous interroge justement sur ce qui dépasse de ce premier niveau vraiment superficiel. Travailler ne signifie pas exclusivement être salarié, c’est avant cela, mettre en action des dispositions, mettre en œuvre des facultés de conception, de réflexion, de manipulation. C’est transformer le milieu naturel dans lequel nous vivons pour le ramener à quelque chose d’humainement utile, nécessaire. Autant le désir peut désigner une motivation à créer, à générer quelque chose de nouveau, de personnel, autant le besoin revêt une signification organique, vitale, première. Il désigne un manque qu’il nous faut absolument combler pour nous maintenir à un niveau d’existence presque minimal.  Le travail est-il inscrit dans notre « nature » ? Y-a-t-il quelque chose de notre condition humaine, voire de notre simple statut d’être vivant qui nous inciterait presque spontanément à travailler ?
 On mesure ainsi l’enjeu d’une telle question quand on la ramène à la vision négative du travail telle qu’elle est vécue par la plupart des travailleurs. Ne vivrions-nous pas dans un paradoxe extrême qui consisterait à subir une réalité dont l’efficience première en tant que simple activation de nos facultés constituerait la réalisation même de notre être le plus authentique ? Une « distorsion » se serait insinuée quelque part, mais où ? Quelque chose de nous n’aspire qu’à se réaliser en s’activant, en dispensant des efforts pour donner à notre potentiel une réalisation effective, mais cette aspiration est niée, aliénée, transformée en un marchandage dans lequel nous perdons toute la substance de cette vocation première au travail.


….A moins que l’étymologie et la référence biblique au travail comme torture et malédiction ne fassent signe d’un malaise dans la notion autrement plus conséquent que nous ne l’envisagions jusqu’à maintenant. Cette réalisation de soi au travers d’une activité est tout ce que nous entendons par « activité artistique » et l’œuvre jamais n’est le produit d’un travail, notamment parce que l’artiste n’a pas d’idée très précise de ce qu’il est train de faire quand il crée une œuvre. Tout travail désigne l’activité que nous exerçons au sein d’une société pour nous faire reconnaître des autres comme membre à part entière de la collectivité. Il y a un rapport entre le travail et l’identité alors que l’artiste perd son identité dans son œuvre. Il s’y perd, s’y « abîme » comme on dit d’une action dans laquelle on est trop impliqué pour se rendre compte qu’on l’exécute.


Mais alors qu’est-ce que le travail ? Nietzsche répond « la meilleure des polices ». Le travail est ce que l’on a fait de mieux pour gérer une population, pour la maintenir sous tutelle, dans la dépendance à l’égard d’une rétribution qui lui donne de quoi subvenir aux besoins les plus essentiels. Nous avons besoin de travailler pour vivre mais, de ce fait, nous ne sommes plus animés du désir de travailler pour exister. Car il est difficile de totalement négliger l’idée selon laquelle le travail définit d’abord et peut-être surtout une forme de dynamisme fondamental, la compréhension de ce que la réalité est meuble, toujours changeante offerte à de multiples transformations. Tout est en travail, en chantier. Ce n’est pas que nous ayons besoin de travailler, c’est plutôt qu’ « être en travail » est le pivot de toute efficience dans l’Univers et qu’il n’est rien qui puisse se « reposer » sur soi comme nous le dirions d’un dieu auto-suffisant. Nous n’avons pas le loisir d’exister parce qu’exister est tout le contraire d’un loisir.


Le suivi de cette problématisation ne garantit pas une dissertation parfaite mais nous permet pour le moins de franchir des degrés d’approfondissement de la question et c’est le type même de démarche qu’il est impossible de mener à bien sans passer par l’écriture. A une semaine de l’épreuve, il faut allumer « le feu de l’écriture ». Que signifie cette expression ? Quand nous parlons à quelqu’un, il  y a une certaine marge d’approximation qui est tolérée (même si cela dépend un peu de votre interlocuteur). C’est cette marge que l’écriture court-circuite. Vous pouvez avoir l’impression d’avoir compris en gros telle ou telle idée exposée par l’enseignant pendant l’année mais vous savez vraiment si vous l’avez comprise quand vous pouvez l’écrire avec vos mots et c’est à cela qu’il faut vous exercer MAINTENANT.


(Je n’ai quasiment pas utilisé de références pour traiter ces deux sujets volontairement parce que la compréhension du sujet prime sur tout autre critère. Evidemment la capacité du candidat à utiliser des auteurs est essentielle et joue un rôle important dans la notation mais elle demeure néanmoins au second plan par rapport à la problématisation)

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