vendredi 11 novembre 2016

Des esprits bien Trumpés (suite)


Encore un mot ou deux sur ce sujet : Alexis de Tocqueville (1805 – 1859) est un philosophe politique qui, dans son livre « De la démocratie en Amérique », eut cette intuition géniale selon laquelle quelque chose de la démocratie méritait, en Amérique plus qu’ailleurs, d’être interrogé dans la perspective de l’avenir de la Démocratie tout court, sachant que pour lui, la démocratie représentait le devenir même de tous les Etats, le bon sens auquel toute collectivité politique devrait tôt ou tard se résoudre. Cela signifie que nous ne pouvons pas assister les bras ballants à ce qui vient de se passer. Il nous faut en tirer le plus rapidement possible des conséquences, et parmi celles-ci il faut pointer l’assimilation de la dimension représentative de nos démocraties parlementaires avec la texture fantasmatique du cadrage médiatique de la Res Publica. 

C’est finalement très simple : cessons de mettre en scène l’homme politique, cessons de nous intéresser à la vie du Président de la République, faisons lui comprendre respectueusement qu’il a accepté d’assumer une charge symbolique, et aucunement le droit d’exposer des états d’âme dont nous n’avons (vraiment) rien à faire. Demandons gentiment à Karine Le Marchand d’arrêter de nous étaler l’intimité de nos responsables. Nous n’élisons pas des représentants pour qu’ils soient comme nous mais exactement le contraire. Si nous ne voulons pas de ce mode de scrutin et d’exercice du pouvoir, alors il faut réfléchir très sérieusement à ce qui est en train de se passer dans certains pays pas très lointains : le mouvement Cinq étoiles en Italie, le parti des pirates en Islande et, pourquoi pas, chez nous, « nuit debout » en avril dernier. Aussi différentes soient-ils, ces dynamiques ont en commun de militer en faveur  d’une démocratie « directe » (ce sont les citoyens qui prennent les décisions sans passer par des représentants).


Je ne suis pas du tout en train de dire qu’il nous faut forcément aller dans cette direction (en tout cas, ce n’est pas du tout une solution qu’il faudrait appliquer sans l’avoir structurée, réfléchie), mais que l’élection de Trump nous interroge exactement sur ce point fondamental de la représentation en politique. Quelque chose d’une certaine évolution (molle) de la démocratie mène en droite ligne à cela : un clone de Chuck Norris et d’Oncle Picsou à la maison Blanche et il n’y a que deux façons de l’éviter pour nous, électeurs français (le plus tôt sera le mieux) : soit déserter complètement les modalités d’approche de la « personne privée » des candidats et se défier de toute « politique spectacle », soit s’interroger sur une transformation radicale de nos institutions et notamment sur un mode de désignation qui ne viserait plus à choisir des « représentants ».

Une dernière chose : quelques jours encore avant le scrutin des présidentielles aux EU, nous avons tous vu ou entendu des personnalités diverses, des « spécialistes des mouvements d’opinion », des commentateurs avisés de la scène politique, j’en citerai quelques uns, par pure méchanceté : Christine Ockrent, Jean-Luc Hess, ou encore François Bujon de l’Estang, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis nous expliquer par A+B pourquoi Donald Trump ne pouvait pas être élu. On peut se tromper, bien sur, le problème est ailleurs : si ces sommités n’ont pas vu arriver ce qui s’est produit, c’est que cela leur semblait et leur semble peut-être encore inconcevable, parce qu’ils ne disposent plus des bons codes pour décrypter le chose publique, ce qui suffit, à mon sens, à les éloigner légitimement et durablement de la moindre prétention à s’exprimer sur cette question. Nous allons maintenant les entendre se répandre sur la scène médiatique au sujet de la nature imprévisible d’un tel bouleversement, pourquoi ? Parce que les journalistes qui les invitent et décident des « plateaux » : les directeurs de rédaction des chaînes, Philippe Meyer sur France Culture, Pujadas et autres, ne comprennent pas davantage ce qui se passe, alors qu’ils en sont les acteurs privilégiés, ils participent à cet éloignement du citoyen de la politique. 


Nous assistons donc à ce spectacle surréaliste de « spécialistes » qui ne comprennent rien de l’objet sur lequel ils sont censés nous renseigner et surenchérissent, à grandes renforts d’analyses de chiffres et d’arguments subtils, sur ce qui doit nous faire comprendre à nous, « pauvres moldus », pourquoi l’on ne peut, de toute façon, rien y comprendre. C’est un peu comme si l’élève d’un cours de philosophie qui jouirait auprès de son professeur d’un excellent a priori au vu de ses dissertations passées, voire de sa réputation auprès d’un autre enseignant, s’étendait dans sa copie sur les raisons qui rendent impossible le traitement efficace du sujet, décrivait la complexité des rouages méthodologiques, se perdait en spéculations interminables et abstraites sur la possibilité d’y voir clair. Un tel élève ne mériterait pas plus de 4/20 et Christine Ockrent, François Bujon de l’Estang ne méritent pas davantage.



Quand nous pensons à toutes les thèses qu’ils ont avancées avant le 9 novembre, nous comprenons bien à la fois pourquoi ils sont présentés comme des experts des mouvements d’opinion aux EU, et pourquoi ils se sont magnifiquement et subtilement vautrés sur le résultat : ils n’ont parlé de rien d‘autre que de ce qui, aux yeux de toutes les instances médiatiques en vigueur aujourd’hui sur les plateaux, les place en situation de spécialistes du diagnostic électoral. Diagnostiquer signifie « connaître en divisant », mais ce qu’il convient de faire ici c’est justement le contraire : moins connaître que pressentir et moins diviser que confondre (comme dirait Gilles Deleuze:"c'est une affaire de perception, ou plutôt de réalisation de la puissance manipulatrice des affects"). Ils établissent donc un « diagnostic » qui, fatalement, est à côté de la plaque, puis ils diagnostiquent le mal qui est à l’origine de leur erreur de diagnostic, puis diagnostiquent le mal à l’origine de l’erreur de diagnostic sur le mal expliquant l’erreur précédente et ainsi de suite, un peu comme un médecin qui vous dirait après tout que « le vivant : il ne sait pas « comment ça marche »…ce qui n'est pas complètement faux mais alors qu’il la ferme. 

S’il vous plaît, Ô, Grands Mandarins des plateaux télé, prosateurs subtils et avertis des mille et une façons d’expliquer pourquoi « on ne pouvait pas prévoir », faites comme nous, faites comme les Moldus de la chose politique : « FERMEZ-LA ! » et arrêtez d’expertiser l’échec de l’expertise de l’échec de l’expertise de l’échec etc…. Vous ne disposez plus des clés vous permettant de comprendre « la masse électorale », alors reconnaissez-le et ne vous approchez plus des micros, surtout si des présentateurs de Prime-Time, sournoisement ou inconsciemment, vous le demandent. Cessez de vous sentir flattés d’être sollicités. C’est un piège qui profite à celui ou celle que vous espériez contrer : la stigmatisation se retourne toujours contre le stigmatisant, au profit du stigmatisé. Comme disait Coluche : « Même les oiseaux s’arrêtent de voler », alors pourquoi pas les péroreurs ? La suffisance de votre rhétorique d’ « Initiés »  a déjà fait, en avril 2002,  la preuve de son pouvoir de nuisance. Alors ne laissez pas passer la chance qui vous est aujourd’hui offerte de montrer qu’il vous est encore possible de manifester de la pudeur : pleurez et, surtout, taisez-vous ! Les américains vont disposer de cinq ans de Trump pour se « détrumper », faisons en sorte, nous français, de comprendre en quelques mois seulement, comment, dans l'heureuse parenthèse de votre silence bienfaisant, nous pourrions enfin faire nôtre « la chose publique ».

2 commentaires:

  1. Talking about democracy in USA, most of dissertation writing services have written lot of dissertations and research papers on it. Seeking current situation, it has become very critic.

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