vendredi 11 novembre 2016

Des esprits bien "Trumpés"


« L’heure est grave ». Que veut-on signifier exactement quand on dit d’une heure qu’elle est grave ? Qu’elle est lourde, qu’elle pèse et entraîne vers le fond tout ce qui l’entoure, comme la spirale du trou d’une baignoire pleine quand on retire le bouchon. On a retiré le bouchon, et nous allons voir tourbillonner dans les mois à venir bon nombre de points de repère, de lignes d’équilibre entre zones d’influence stratégiques, d’alliances politiques, de mouvances médiatiques, bref de façons d’être, d’agir et de penser, ce que c’est qu’ « être dans ce monde-là ».

Voilà un certain temps que nous avions remarqué chez l’électeur américain un goût prononcé pour l’exploitation éolienne de tous les grands vents sifflant dans la boîte crânienne de ses présidents. Reagan, Georges Bush Junior et Donald Trump ne partagent pas seulement leur étiquette de républicains, leur collection de figurines GI Joe VS Musclor, mais aussi une forte appétence pour le One-Man-Show, un sens inné de la mise en scène ainsi qu’une certaine inclination à réduire la population mondiale  au statut de spectateurs dont les yeux sont braqués sur l’écran immaculé de la bien nommée Maison Blanche. Si, dans l’excellente série humoristique de Jean-Michel Ribes : « Palace », le professeur Rollin avait toujours « quelque chose à dire », ces Présidents ont eu et auront toujours « quelque chose à nous montrer » : une dérégulation de l’économie pour Reagan, une invasion de l’Irak pour Bush, et pour Donald, je penche pour l’installation d’une cloche nucléaire sur ses États préférés: Texas, Kansas, Oklahoma, Louisiane, Arizona (dans tous ses états, aucun grand électeur n'a voté démocrate) comme sur un plateau de fromages un peu trop faits dont on veut accélérer l’expansion sans pour autant diffuser l’odeur.
 A moins que sa « trace », son "leg" pour l’humanité soit une refondation radicale du sens des mots, un nouveau dictionnaire dans lequel on trouverait pour le verbe « respecter » (« personne n’a plus de respect pour les femmes que moi » - 2e débat des Présidentielles) : traiter de boudin, harceler sexuellement et faire défiler en maillot de bain sur des estrades entourées de paysans Texans fourrés au beurre de cacahuètes. Pour le substantif « Impôt », on pourrait lire : "Jeu subtil pour hommes d’affaires rusés dont la règle consiste à soustraire le montant pour l’utiliser à son profit et faire des tours avec le nom : « Trump » marqué dessus et  des fonds détournés « trempés »  dessous". Pour le mot : «  État », on lirait : « What the fuck ? » A l’article « Cheveux », serait indiqué : « fibre synthétique javellisée dont la coloration indiscernable, à dominante jaunâtre, recouvre la boîte crânienne d’une visière de casquette intégrée comme un supporter des Knicks à perpétuité auquel on aurait aussi greffé un mégaphone dans les cordes vocales et la variété d’expressions de Charles Bronson, « Un justicier dans la ville », dans les zygomatiques. 
 
Peut-être pourrions-nous également y découvrir un nouveau mot : « Trumper » avec la signification suivante : "répondre à toute interrogation concernant un enjeu de politique intérieure ou internationale, par la solution la plus radicale, la plus facile à comprendre pour un électeur du Texas qui sait compter jusqu’à 20 (certes une minorité, mais on ne peut pas à la fois assister au cours de maths et faire ses exercices de catéchisme créationniste) et la plus médiatiquement tonitruante que l’on puisse…euh….concevoir." Exemple : « elle a essayé de m’embrouiller avec une question sur les relations Est-Ouest par rapport aux équilibres énergétiques de la planète, t’aurais du voir comme je lui ai trumpé sa descendance de bâtards à cette journaleuse du « New York Daily News » ! »

 Ou encore :
-       « Nous autres, qui vivons au Texas, nous avons l’esprit bien trumpé, c’est ça qui nous aide à cultiver notre maïs.
-       Euh ! Quoi : « ça » ?
-       Ben, ça : l’esprit trumpé
-       Mais euh, trumpé dans quoi ?
-       Ben ça : tout ce qui fait notre fierté d’être de vrais texans : le rodéo, le barbecue, le football américain, la NRA (National Rifle Association), Kennedy visitant Dallas, le Tex Mex, les margaritas, les lynchages.
-       Euh ! Trumpé jusqu’au cou dans la sauce quoi !
-       Ben euh ! Ouais.
Ou encore, dernier exemple :
-       « C’est quoi, ça là-bas, ce truc à forme ovale, un bureau ?
-        Non, c’est un ring de Catch.
-       Ah ? Désolé. Je me suis trumpé. »

Peut-être y-a-t-il finalement deux sortes de pays : ceux dont le cinéma exprime « la quintessence », le style, le devenir, l’humanité, c’est-à-dire, au sens le plus noble du terme : le caractère. On peut penser à Bergman pour la Suède, à Vintenberg et Lars Von Trier pour le Danemark, etc. Et puis il y a ceux dont les pires productions dessinent, dans la grossièreté même de leur dynamique caricaturante, le futur d’une nation, « le déclin de l’empire américain ». Je pense à un très mauvais film de Mike Judge, « Idiocracy » dans lequel le réalisateur prophétisait en 2006 un avenir dans lequel le président serait un champion de catch.



 Il faut regarder les productions Hollywoodiennes comme les augures romains lisaient les entrailles peu ragoutantes des animaux. Le moteur de l’évolution de cette grande puissance est spéculaire. Les Etats-Unis auront dessiné dans l’histoire ce profil tout-à-fait particulier consistant à n’être jamais parvenu à s’ancrer physiquement, affectivement dans un territoire (parce qu’ils sont le produit d’une colonisation et d’un massacre), à ne pouvoir assumer leur passé autrement qu’au gré d’une industrie cinématographique finalement très pauvre en termes de « créations », et à ne revêtir aux yeux du monde qu’une texture fantasmatique. C’est ce qui rend l’attention que l’on ne peut manquer de marquer à l’égard de cette « terre » (mais ce terme est profondément inadéquat: les États-Unis ne sont pas une terre, ils sont un rêve) aussi hypnotique que profondément « désolée ». 

Au-delà de l’Atlantique, il n’y a rien à voir précisément parce que les EU ne font que « se faire voir ». Ce n’est pas un pays de légende, c’est un panoptique d’une transparence consternante. Peut-être est-il temps, pour nous, de faire le voyage de Christophe Colomb à l’envers : les Etats-Unis maintenant trumpés, rien d’autre à parcourir en cette absence sidérante de « lieu d’être », qu’un No Man’s Land refermé sous son dôme médiatique comme le studio du « Truman Show ».


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