dimanche 6 novembre 2016

"Ne sommes-nous liés que par de l'Interdit?" - S'entendre à l'amiable



Il arrive parfois après un léger accident de la route que les automobilistes décident de s’entendre à l’amiable. Ils ne font pas de constat. Le fautif reconnaît son tort et propose un dédommagement à la victime qui l’accepte. Rien ne sera « officialisé », aucun papier n’attestera de l’événement. Le processus même de cette entente est intéressant : pas de paperasse, pas de procédure, pas de recours aux assurances. Deux personnes décident de gérer un problème sans faire appel à des structures, à des appareils. Ils trouvent un terrain d’entente ailleurs que dans cette dimension cadrée par des lois, des contrats en bonne et due forme, des consignes.
Dans ces constats dits à l’amiable, chacun des deux camps part du principe que l’autre n’est pas en train d’essayer de l’abuser. Aussi anodine que puisse apparaître cette entente, s’y manifeste indiscutablement un acte de confiance, de croyance, un « crédit » accordé à la bonne foi de l’autre parti. C’est cette confiance qu’il s’agit ici de questionner : est-elle solide, opératoire, en toute occasion ? Pouvons-nous nous appuyer sur la mutualité de ce crédit pour affirmer que nous sommes liés par autre chose que ce treillage de lois à l’intérieur duquel s’effectuent toutes les interactions des hommes au sein de la société ?
La position de Thomas Hobbes est sans équivoque par rapport à cette question : c’est « non ». Il n’existe pas de satisfaction, de liberté et surtout de sécurité envisageable pour chacun des citoyens d’une communauté hors d’un « contrat » qui relie tous ses membres à la désignation d’un homme ou d’un groupe d’hommes auquel ils confient de leur plein gré le pouvoir de les représenter, c’est-à-dire le pouvoir, par représentation. Tout ce que cette autorité décidera sera, du fait de ce consentement, ce que décident également les membres liés par ce contrat. « C’est plus que le consentement ou la concorde » dit Hobbes, c’est une unité contractuelle. Ce qui nous relie les uns aux autres n’est, en aucune façon, l’amour, l’attachement ou toute forme d’intéressement naturel, c’est plutôt la certitude que l’autre a abandonné, tout comme moi, toute prétention à son droit de nature : « j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière ».
Etre le citoyen d’un « Etat », c’est être sujet (au sens d’assujetti) à cette même interdiction adressée à tous d’exercer leur droit naturel dans cette juridiction. Ce dernier terme est important : il y a une juridiction quand à l’intérieur d’un espace donné s’active cette puissance de limiter l’action des citoyens  par la diction de l’autorité de l’état de telle sorte que toutes les inter-actions humaines ne peuvent s’y effectuer sans être préalablement cadrées par des inter-dictions. Ce n’est pas tant que nous soyons liés directement par de l’interdit, c’est plutôt que l’interdiction rend possible le seul rapport humain concevable en dehors de la guerre étant entendu que la guerre est le seul type de rapport ou plutôt de « non-rapport » qui s’imposerait directement de lui-même dans un milieu naturel.
Si nous nous promenons paisiblement dans les rues, si nous ne sommes pas constamment sur le qui-vive à chaque fois que nous croisons notre prochain, est-ce parce que nous misons sur sa bienveillance foncière, primitive, sur une forme d’empathie naturelle de tout homme à l’égard de son prochain, ou bien parce que nous savons que nous vivons dans un espace public au sein duquel prévaut cette relation contractuelle de tous les citoyens à une autorité souveraine forte de toutes les volontés de chacun des membres de la communauté ?

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