jeudi 5 janvier 2017

"Peut-on avoir raison contre l'Etat?" - Pourquoi l'Etat?


Dans le très bon site « la toupie » (http://www.toupie.org/), nous trouvons cette définition de l’Etat :


« Avec une majuscule, l'Etat désigne la personne morale de droit public qui, sur le plan juridique, représente une collectivité, un peuple ou une nation, à l'intérieur ou à l'extérieur d'un territoire déterminé sur lequel elle exerce le pouvoir suprême, la souveraineté. L'Etat est la forme la plus élaborée de la vie commune d'une société humaine. Il exerce son pouvoir par le biais du gouvernement. L'Etat dispose d'un certain nombre de monopoles comme l'utilisation légitimée de la contrainte physique (pour faire respecter le loi), la collecte des impôts... Par extension, l'Etat désigne l'ensemble des institutions et des services qui permettent de gouverner et d'administrer un pays : ministères, directions, préfectures, délégations, administrations déconcentrées ou décentralisées. »

Nous pouvons en retirer trois caractéristiques essentielles composant un Etat :

-       L’autorité (souveraineté et force)

-       L’administration (centralisation)

-       Le symbole (on pourrait tout aussi bien parler ici de « contrat » au sens très fort de ce terme ; le lien qui relie les citoyens d’un Etat est un lien non pas naturel mais contractuel. Cela signifie que l’existence de l’Etat exprime de la part de ses administrés qu’ils ne misent pas sur l’empathie ou sur toute autre relation compassionnelle valant « de fait » entre les hommes. Vivre dans un Etat c’est donc accepter de faire à son propre égard un travail d’abstraction, de symbolisation (je suis bien « moi », avec mon histoire, mon vécu particulier, unique, irréductible à tout autre, mais en tant que citoyen je ne suis qu’une toute petite partie d’un ensemble : l’Etat))

Pourquoi y-a-t-il de l’Etat ? Pourquoi une population éprouve-t-elle cette nécessité d’être dirigée, organisée, représentée ? L’ethnologue Pierre Clastres a prouvé qu’il existait des sociétés, notamment en Amazonie, comme les Guaranis, les Jivaros, mais pas seulement, dans lesquelles les individus n’étaient pas maintenus sous la régulation d’un Etat, sans pour autant qu’il s’en suive du désordre, du chaos, des conflits permanents.

« Pourquoi les sociétés primitives sont-elles des sociétés sans Etat ? Comme sociétés complètes, achevées, adultes et non plus comme embryons infra-politiques, les sociétés primitives n’ont pas l’Etat parce qu’elles le refusent, parce qu’elles refusent la division du corps social en dominants et dominés. La politique des « Sauvages », c’est bien en effet de faire sans cesse obstacle à l’apparition d’un organe séparé du pouvoir, d’empêcher la rencontre d’avance sue fatale entre institution de la chefferie et exercice du pouvoir. Dans la société Primitive, il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir parce que le pouvoir n’est pas séparé de la société, parce que c’est elle qui le détient, comme totalité une, en vue de maintenir son être indivisé, en vue de conjurer l’apparition en son sein de l’inégalité entre maîtres et sujets, entre le chef et la tribu. Détenir le pouvoir, c’est l’exercer ; l’exercer, c’est dominer ceux sur qui Il s’exerce : voilà très précisément ce dont ne veulent pas (ne voulurent pas) les sociétés primitives, voilà pourquoi les chefs y sont sans pouvoir, pourquoi le pouvoir ne se détache pas du corps un de la société. Refus de l’inégalité, refus du pouvoir séparé : même et constant souci des sociétés primitives. Elles savaient fort bien qu’à renoncer à cette lutte, qu’à cesser d’endiguer ces forces souterraines qui se nomment désir de pouvoir et désir de soumission et sans la libération desquelles ne saurait se comprendre l’irruption de la domination et de la servitude, elles savaient qu’elles y perdraient leur liberté. »

Ce qui est particulièrement intéressant dans cet extrait du livre de Pierre Clastres, c’est que l’appellation même de « sociétés primitives » y trouve son origine dans la capacité de ces « autres sociétés » à suivre une autre voie que celle des collectivités étatiques. Si nous les considérons comme « peu évoluées » c’est précisément parce qu’elles ont choisi une modalité de fonctionnement très différentes de la notre. Lorsque les espagnols et les portugais débarquèrent en Amérique du sud, ils se dirigèrent « instinctivement » vers les trois civilisations structurées avec un Etat : les Mayas, les Aztèques et les Incas pour les connaître (et évidemment les détruire), mais elle ne les ont connues qu’en tant qu’elles s’y sont « reconnues » : même souci de l’administration d’un territoire, même structure pyramidale de la société, même division de la population en classes.

Nous reviendrons sur ces Sociétés sans classe, ni domination, ni Etat mais retenons simplement pour l’instant que l’Etat n’est pas une « fatalité ». Il est possible (rare mais possible) de faire groupe sans avoir besoin d’une autorité. Pour remonter à l’origine de « nos sociétés » étatiques, nous retrouvons dans la Grèce antique la notion de « polis », c’est-à-dire de cité, laquelle est elle-même en relation avec le concept de « cosmos » : univers ordonné par des lois. Nous pouvons en déduire que l’idée de s’associer dans une communauté portant le même nom et faisant de chaque habitant des citoyens soumis à des règles identiques vient de l’observation d’un ordre dans la nature (croissance, saisons, cycle de régénération des ressources, etc.) créant par la même le désir de soumettre une population humaine à des règles ou du moins à un cadre rendant dés lors quelque chose comme une « action humaine » possible. 

En effet, dans la nature, il nous est impossible d’inscrire nos actes durablement. Avec l’Etat s’institue une sorte de « fond d’écran », de champ de forces et d’interactions humaines rationnel au sein duquel nos attitudes, nos postures, nos projets et nos ambitions revêtent un Sens. Il est particulièrement intéressant, de ce point de vue, de noter que les guaranis et les Jivaros par exemple sont des Sociétés sans histoire. Elles sont totalement dépourvues de cette volonté d’inscrire leurs actions sur un support qui en garderait la trace. Il y a bien pour elles aussi, des conflits, des guerres avec des sociétés voisines mais il ne leur semble pas nécessaire d’en garder la mémoire dans une « empreinte ». L’existence de l’Etat semble donc inconcevable indépendamment de ce souci de donner aux actions humaines une résonance symbolique, mémorielle, historique, narrative à toutes les manifestations d’existence humaine.



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