mardi 24 janvier 2017

"Peut-on avoir raison contre l'Etat?" - L'affaire Cédric Herrou

Le procès récent de Cédric Herrou, agriculteur de la vallée de la Roya, jugé pour pour « aide à l’entrée irrégulière sur le territoire français », nous a donné l'occasion de réfléchir concrètement à la question de savoir si nous pouvions avoir raison contre l'Etat? Tous les arguments utilisés par Monsieur Herrou nous ont semblé, en effet, pouvoir se défendre d'une part à partir du "Droit naturel", et d'autre part du "Droit Positif", notamment lorsque l'accusé fait remarquer que La France ne respecte le droit des mineurs en les reconduisant autoritairement à la frontière au lieu de leur porter assistance. Il est même question, dés lors des Alpes-Maritimes comme d'une zone de "non-droit" au sein de laquelle les lois et les valeurs de la République Française ne seraient plus respectées. Cédric Herrou a été arrêté à l'automne pour avoir illégalement créé un centre d'accueil pour migrants dans des bâtiments de la SNCF désaffectés. Il a été condamné à huit mois de prison avec sursis. 

Par ailleurs, son élection par les lecteurs de Nice-Matin au titre "azuréen de l'année" a provoqué la réaction  de Monsieur Eric Ciotti, président du conseil départemental des Alpes-Maritimes. La tribune qu'il a rédigée nous a permis d'étudier les arguments de chacun des partis en présence. Ce travail que nous avons effectué durant toute une semaine (4h) a suscité de nombreuses réactions parmi les élèves et l'une d'entre elles, qui souhaite garder l'anonymat,  a exprimé le souhait d'adresser à Monsieur Ciotti une lettre dans laquelle elle évoque son expérience personnelle du déracinement. Ce témoignage nous semble aussi éclairant que courageux et pertinent, c'est la raison pour laquelle nous avons choisi de le publier sur ce blog après la tribune de Monsieur Ciotti.

Tribune d’Eric Ciotti parue dans Nice-Matin le 30 décembre 2016.

"Nice-Matin a publié dans son édition du 29 décembre 2016 le palmarès des Azuréens de l’année. La sélection est tout sauf objective : M. Cédric Herrou a été élu avec 4257 voix sur un groupe de 7677 votants ! Dans un département de plus d’un million cent mille habitants, quel crédit accorder au vote de quelques milliers de personnes probablement mobilisées selon les bonnes vieilles méthodes de l’extrême-gauche ?
Non, M. Herrou ne peut pas être l’Azuréen de l’année !
Faut-il rappeler qu’il comparaîtra devant le tribunal correctionnel le 4 janvier prochain pour aide illégale au séjour d’étrangers en situation irrégulière ? M. Herrou revendique ouvertement de violer les lois de la République en affirmant avoir fait passer la frontière à plusieurs reprises à près de 200 étrangers en situation irrégulière.
Ce nombre est suffisamment important pour que chacun comprenne qu’il s’agit bien d’une filière organisée et non pas d’un geste isolé. Par ses actes, M. Herrou n’a pas d’autre but que de provoquer et de défier l’autorité de l’Etat. Son action est une insulte aux policiers, aux gendarmes, aux douaniers et aux militaires de Sentinelle qui tous, chaque jour, surveillent nos frontières notamment entre l’Italie et la France. J’ai pu constater le 22 décembre dernier, à Sospel, la qualité et la difficulté de leur travail qui se solde en 2016 par l’interpellation d’au moins 35 000 étrangers tentant de passer illégalement en France, ce qui est considérable.
Non, M. Herrou ne peut pas être l’Azuréen de l’année !
Bien d’autres personnes méritent d’être honorées. Pour moi, l’Azuréen de l’année, se trouvent parmi tous ces héros de la nuit tragique du 14 juillet dernier à Nice, parmi ces femmes et ces hommes qui tous, collectivement ou individuellement, ont porté secours, qui tous ont sauvé des vies. Je pense à cette jeune policière qui a neutralisé le terroriste, permettant d’éviter des dizaines de morts supplémentaires, je pense aux pompiers, au SAMU, aux citoyens qui sont venus porter assistance aux victimes, je pense aux services d’urgence de l’hôpital Lenval et de l’hôpital Pasteur. Voilà les héros ! Et ils n’ont pas besoin de le claironner ni d’ouvrir une page Facebook ni de provoquer des coups d’éclat à quelques jours d’un procès.
Ces héros du 14 juillet sont des humanistes. Et pourtant aucun n’a été nominé. Évidemment, l’humanisme pour l’humanisme, discret et anonyme, n’intéresse pas.
Et combien d’Azuréens, chercheurs, chefs d’entreprise, présidents d’associations, et bien d’autres qui ont choisi de mettre leur vie au service des autres, mériteraient également cet hommage !
Non, M. Herrou ne peut pas être l’Azuréen de l’année !
Etre l’Azuréen de l’année, ce n’est pas manipuler la joute médiatique à sensations comme il le fait pour se protéger de la justice, en s’abritant derrière une générosité de façade.
Las ! Cette fausse générosité est un dangereux mirage. La France généreuse doit préserver ses valeurs d’accueil et d’hospitalité pour ceux qui en ont les qualités, les réfugiés et les opprimés victimes de la barbarie. Mais faut-il rappeler qu’à peine un tiers des candidats au statut de réfugié remplissent les conditions pour l’obtenir !
Quant aux migrants économiques, la France ne peut plus en accueillir davantage. Les capacités d’intégration par le logement et le travail sont limitées. Laisser s’installer dans notre pays des personnes sans garantir leur avenir, c’est prendre le risque de livrer ces étrangers aux trafiquants et aux criminels. C’est également favoriser un communautarisme islamique dangereux pour la République, fauteur de divisions profondes dans notre société, elles-mêmes génératrices de lourdes incompréhensions et terreau des pires extrémismes.
L’humanisme, c’est avoir conscience que la solution se trouve aussi dans les pays d’origine des migrants et dans l’aide au développement, et non pas seulement en Europe.
Non, M. Herrou ne peut pas être l’Azuréen de l’année !
Il a fait de la protection des mineurs son fer de lance en pensant apitoyer l’opinion publique. Dans les faits, il la trompe. Car il est absolument faux de dire que les mineurs ne sont pas pris en charge dans notre département.
Les services de l’Etat, sous l’autorité du Préfet, procèdent aux réadmissions en Italie autorisées par la loi et les conventions internationales. Quant au conseil départemental, il accomplit son devoir pour les autres mineurs. Je veux rendre hommage aux services du département des Alpes-Maritimes qui assument la responsabilité de 210 mineurs isolés étrangers qui tous sont accueillis dans des structures ad hoc et dans des conditions optimales. Le coût total de leur accueil s’élève à 10 millions d’euros à la charge du contribuable départemental. C’est la loi, et le conseil départemental la respecte. Il prend en charge les mineurs que les services de l’Etat ou le juge dirigent vers lui.
Non, M. Herrou ne peut pas être l’Azuréen de l’année !
Lui qui prône l’ouverture des frontières sans contrôle, lui qui prône un monde ouvert. Une attitude irresponsable dans le contexte actuel… En matière d’immigration, c’est la fermeté qui est gage d’humanité, quand près de 400 000 personnes ont débarqué sur les côtes Sud de l’Italie depuis le printemps 2014. Les bons sentiments conduisent à des drames. Les messages d’ouverture généralisée passés tous azimuts, comme celui de l’Allemagne à l’automne 2015, n’ont pour résultat que la multiplication du nombre de morts en Méditerranée, à quelques centaines de kilomètres à peine de la côte d’Azur.
Est-il nécessaire de rappeler que dans le contexte de menace terroriste maximale que nous subissons aujourd’hui, la frontière n’est pas une menace mais une protection ? Du Bataclan à Berlin en passant par Bruxelles, preuve a été faite que les terroristes utilisent le flux migratoire pour infiltrer le territoire européen. Surveiller nos frontières est un impératif qui s’impose d’autant plus.
Qui peut dire avec certitude que dans les centaines de migrants que M. Herrou se targue d’avoir fait passer ne se dissimule pas un futur terroriste ?
Pour toutes ces raisons, jamais je ne tolérerai qu’une nouvelle jungle de Calais s’installe dans les Alpes-Maritimes. La jungle de Calais est une honte pour la France. Le gouvernement a laissé s’installer une zone de non droit livrée à des bandes et des mafias. Calais a été une pompe aspirante.
Au moment où nous avons besoin de contrôles stricts, la démarche de M. Herrou, idéologique et préméditée, est une prise de risque majeure. Ce n’est pas à des individus irresponsables de définir les règles d’entrée sur le territoire national. Nous sommes dans un Etat de droit. Sous une fausse générosité, ceux qui bafouent les règles de la République mettent en danger notre pays."


Lettre adressée à Monsieur Eric Ciotti,

Député « Les Républicains »

Président du conseil départemental des Alpes-Maritimes


Monsieur le Député,

Je me permets de vous adresser ce courrier car, étant en Terminale ES dans un lycée de province et travaillant en cours sur l’affaire Cédric Herrou dans le cadre d’un sujet de dissertation en Philosophie, j’ai pris connaissance de la tribune que vous aviez rédigée contre l’élection de cette personne en tant qu’azuréen de l’année, pour le journal Nice-Matin.
Je n’ai pas l’habitude de m’adresser aux responsables politiques mais votre article m’a donné envie de prendre la plume pour raconter simplement mon histoire qui est celle d’une ex-réfugiée. Je n’ai pas l’ambition de vous faire changer d’avis mais il se trouve que chacun des arguments que vous utilisez contre le geste de Cédric Herrou, qui a porté assistance à des migrants ayant franchi illégalement la frontière Franco-Italienne, m’a touché « personnellement », entrant en résonance avec cette expérience si particulière que j’ai vécu pendant mon adolescence. Je ne néglige pas les droits et les devoirs de tout citoyen à l’égard de l’Etat dans lequel il est né ou a été accueilli mais votre prise de position me semble sous-estimer totalement le ressenti de celles et ceux qui sont dans l’obligation de prendre la route sans vraiment savoir comment se fera le voyage ni s’il leur sera possible de poser un jour leur valise dans un lieu hospitalier, soit exactement ce que la France a été pour moi. Mon vœu le plus cher, par conséquent, est que votre argumentation apparaisse aux yeux des français comme ce qu’elle est : faible, inadaptée, irréaliste, émise par la conception passéiste et procédurière d’une France qui déjà n’existe plus.
J’ai 19 ans mais j’en avais 14 quand j’ai du quitter mon pays. Je viens d’une petite nation qui a vécu la guerre et qui est parvenue à retrouver son indépendance. Lorsque il a été question de partir, la raison de cet « exil » volontaire m’était inconnue mais je savais qu’il s’agissait de problèmes personnels de mon père. Je me souviens encore du jour de notre départ…Nous avons dû quitter notre maison, notre famille, nos proches, notre école car c’était la seule solution pour aider notre père. Nous avions beaucoup réfléchi mais c’était bel et bien la seule issue possible. S’est posée alors à nous la question du choix de notre destination. L’Allemagne, la France ? Un autre pays ? Mais quel autre pays que la France aurait-il pu nous accueillir pour sauver la situation difficile dans laquelle nous nous trouvions ? Cette nation a toujours joui d’une excellente réputation chez nous car elle nous apparaissait comme une terre de liberté ouvrant ses frontières à toutes les personnes simples et honnêtes n’ayant plus la possibilité de demeurer là où elles étaient nées. Nous avons donc choisi la France, Paris, cette ville que j’avais toujours rêvée de visiter. J’étais à la fois heureuse et malheureuse car j’aurais préféré me rendre dans cette capitale en tant que touriste et non comme réfugiée.
Je vous prie de croire qu’il n’est pas facile de « fermer la porte derrière soi » quand on franchit la frontière du pays dans lequel on est né, dans lequel on a grandi pour tout reprendre à zéro « ailleurs », au milieu de personnes qui sont chez elles, qui ne parlent pas notre langue et auxquelles on demande de nous recevoir. Or dés notre arrivée en France, nous avons été très bien accueillis et j’étais vraiment heureuse. Bientôt j’allais entrer au collège. Je me suis posé beaucoup de questions, comment vais-je comprendre mes camarades ? Comment vont-ils se comporter à l’égard d’une personne étrangère qui ne maîtrise pas bien leur langue ? Vont-ils se moquer de moi ? Combien de temps va-t-il me falloir pour que je m’adapte à ce nouveau pays ? Comprenez qu’il n’est rien qu’un réfugié souhaite davantage que cela : s’adapter, être accepté, recueilli et pourquoi pas « reconnu » par un autre pays comme partie intégrante de cette nouvelle communauté.
Lorsqu’il fut effectivement temps pour moi d’être admise au collège, il me fallut faire face à toutes ces difficultés dans une classe, un établissement, une langue que je ne connaissais pas. Je suis très souvent rentrée chez moi en pleurant, car je n’arrivais pas à comprendre. Lorsque vous disposiez de tout ce dont vous aviez besoin et que vous vous retrouvez dans un autre pays dont il vous faut apprendre la langue, les mentalités, les usages, les coutumes et les lois, vous traversez forcément des moments de découragement intenses et pénibles à vivre. Derrière les « mesures », les « lois », les « décrets » et les procédures de l’Etat dont je mesure bien l’importance et la nécessité, il y a des expériences, des affects, des ressentis qu’une personne qui n’a jamais été déracinée peut bien se représenter mais qu’elle aura bien du mal à réaliser dans toute la gamme des sentiments qu’ils suscitent. C’est aussi à la lumière de ce déracinement affectif qu’il faut entendre le sens de la situation de « réfugié », laquelle ne saurait être seulement un « statut ».
Mais ce ne furent pas pour moi les seules épreuves. Mon père a du traverser des moments difficiles car il s’est battu contre une maladie qui, dans notre pays d’origine, n’aurait jamais été soignée. Mon père a pu, en France, bénéficier de soins qui ne lui auraient pas été prodigués dans son pays de naissance car les médecins de là-bas ne l’auraient même pas détectée. Aujourd’hui, il est décédé mais il a pu, ici, profiter d’un « sursis » dont il aurait été privé si nous n’étions pas partis de « chez nous ». Il y a « La France », les lois, les options des différents partis, la ligne politique que vous défendez dans votre tribune contre Cédric Herrou, et puis, au milieu de tout cela, il y a des vies, des « destinées », comme on dit, et notamment ce « petit morceau d’existence » dont mon père a pu jouir grâce à notre expatriation. C’est de cela, de « ces morceaux de vie de réfugiés » dont il est question dans ce débat et c’est à cause d’eux que je ne peux comprendre votre position.
Monsieur Herrou a vu des personnes en détresse qui auraient pu être mon père, ma famille, moi, et il leur a porté simplement assistance parce que la durée nécessaire à la demande d’un formulaire d’accueil, le passage par différentes administrations et les structures mises en œuvre par l’Etat supposent un temps dont ne dispose pas la plupart des réfugiés. L’Etat est peut-être la solution à tous les problèmes qui se posent sur un territoire mais, il ne peut, par définition, l’être « tout de suite » et personne n’a le temps d’être réfugié. On l’est brutalement, sans choisir. Entre l’urgence et l’état d’urgence, il y a tout le temps requis par le travail de médiation de l’Etat.
Je ne vous demande pas de « réaliser » le déracinement que ma famille et moi-même avons vécu car je pense que ce n’est pas possible mais au moins de comprendre qu’au fil de vos mots, de vos idées et des lois que vous défendez, « à juste raison », se tissent des vies, des morts provoquées ou heureusement retardées comme le fut celle de mon père grâce à l’Etat français. J’ai bien écrit « à juste raison » car je sais que vous n’ignorez pas à quel point une loi n’est rien sans l’esprit qui la commande. Or, il me semble évident que l’esprit des lois de la République Française se trouve, en l’occurrence, plus proche du geste de Cédric Herrou que de votre critique trop « réactive », passionnelle, idéologique, pour être réellement à la hauteur des conditions historiques dans lesquelles l’Etat de Droit français est né. Vous savez bien que « les droits naturels, inaliénables et sacrés » sont explicitement mentionnés dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et j’ai du mal à envisager la possibilité que l’état d’esprit d’un « Républicain » puisque c’est le terme choisi par la formation politique à laquelle vous appartenez puisse se méprendre à ce point sur l’esprit des lois de la République Française dont vous êtes, en tant que président du conseil départemental, le représentant sur le territoire ainsi que le défenseur.
Peut-être vous étonnerez-vous que je ne signe pas cette lettre, mais au-delà du caractère personnel qu’elle revêt, l’exigence de pudeur qui m’incombe est aussi celle de parler au nom de tous les réfugiés, car je sais bien que mon cas, aussi empreint soit-il de l’expérience qui fut la mienne du déracinement, est tout sauf isolé.
Comprenez que ma démarche est dictée par le sentiment de gratitude que je voue à la France, parce qu’elle sauve des vies, parce qu’elle retarde des morts, parce qu’elle accueille celles et ceux qui fuient la guerre et cherchent simplement un lieu de paix. Je suis fière d’avoir été une réfugiée. Je n’oublierai jamais mon pays mais cela ne m’empêche aucunement de m’adapter aux règles et aux usages de mon nouveau pays.
Je ne suis pas assez naïve pour penser que ma lettre va changer votre opinion mais j’espère simplement que vous accepterez d’en recevoir le témoignage, éventuellement de vous laisser gagner, ne serait-ce qu’un minimum, par l’émotion qui fut la mienne en la rédigeant, parce que la situation des réfugiés d’aujourd’hui est plus précaire que ne l’a été la mienne. Je vous prie de faire preuve de bienveillance et d’indulgence à leur égard car la guerre est précisément ce qu’ils essaient de fuir et non ce qu’ils méritent de retrouver. Personne ne mérite cela, puisque la sécurité, c’est-à-dire la possibilité d’être protégé de l’arbitraire et de la violence des agresseurs est un droit dont l’application rigoureuse exige de nous, citoyens français, qu’à son endroit, nous ne faiblissions jamais. Sous cet angle, le geste de Cédric Herrou est tout sauf laxiste, ou illégal.
Je vous remercie pour l’attention que vous jugerez bon d’accorder à cette lettre et vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression de ma haute considération. 

                                                 Une citoyenne française, ex-réfugiée



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire