mardi 14 février 2017

Texte d'Alain sur la perception - Quelques éléments d'explication (2)


Le toucher ne nous instruit de rien, donc. Il nous « avertit » simplement de la présence de quelque chose, ou plus exactement (car c’est déjà trop d’affirmer que c’est « une » chose) de plusieurs « coupes » successives, de séquences tactiles consécutives manifestant le frôlement de surfaces planes et pointues, rugueuses et lisses, de saillies et d’encoignures etc. Voilà ce qu’à strictement parler, nous « touchons ». Nous nous faisons ainsi une idée du niveau d’analyse requis par ce texte, niveau élevé puisqu’ aucun de nous dans la vie courante ne va se situer à de degré de précision, ne serait-ce que pour éviter de nous faire passer pour des aliénés aux yeux de nos semblables. Mais en même temps nous réalisons bien qu’Alain a raison, notamment grâce à la référence aux illusions d’optique que nous avons évoquée dans l’article précédent. Je perçois donc une succession d’impressions confuses, fragmentées, partielles, chaotiques à partir desquelles je vais « juger » que cet objet est un cube. 
De la même façon, je vais juger que cette personne est mon ami à partir des données parcellaires et échelonnées dans la durée que je vais recueillir à l’occasion de notre rencontre. Comme le dit si bien la langue, je vais alors le « reconnaître », ce qui signifie qu’à partir de tel profil ou de telle couleur de vêtement que mes yeux ont enregistrés, je vais « compléter les blancs », parfaire le tableau, ajouter à ce que j’ai bel et bien perçu tout ce dont je n’ai pas fait l’expérience directe mais que j’estime pouvoir rajouter puisque c’est mon ami, et c’est à ce moment là, qu’en effet, il peut arriver que je me trompe, surtout si je n’ai aperçu mon ami que de loin.
Cela signifie qu’à un moment donné, j’aurai bel et bien reconstitué à partir de mon expérience passée de l’apparence de mon ami sa physionomie d’aujourd’hui. Ce que l’on pourrait appeler son idée générale, son « concept », ou finalement « son nom propre » se seront suffisamment imposés à mon entendement pour que ce soit sous leur direction, on pourrait dire sous leur « supervision » (sous l’action de leur supervisée) que j’aborde l’expérience de voir en face de moi mon ami. Il est bien vrai que c’est lui, mais il n’en est pas moins exact que cette présence qui me semble toute entière effective d’un point de vue physique ici et maintenant ne saurait l’être intégralement puisque de nombreux processus d’imagination, de remémoration, de conceptualisation se sont passés la main afin d’aboutir à ce « résultat ». Je ne fais pas que voir mon ami, j’ai interprété tous les signes envoyés à mes sens de façon à reconstituer la scène que je vis à présent, laquelle ne saurait exclusivement être considérée comme subie passivement par mon corps et ma pensée. En d’autres termes, aucun événement ne m’arrive sans que j’aie quelque chose à voir dans le fait qu’il arrive de cette façon, sous telle apparence, à tel moment. Ce que je perçois, dés lors que je l’identifie, que je le « réalise », devient ce que je reconstitue.
Ce dernier terme est particulièrement intéressant : je « réalise » qu’il y a un dé. Cela signifie : « je me rends compte » qu’il y a un dé devant moi, mais ce que nous comprenons maintenant, c’est que l’on peut aussi ajouter ce second sens au verbe réaliser : « produire ». Je construis l’image mentale du dé, je synthétise la diversité des angles, des surfaces et des perspectives dans un jugement : « ceci est un dé », ou « je suis en face de mon ami », une fois comblées les absences et les angles morts de la configuration spatiale particulière de notre rencontre (nécessairement partielle et tronquée)

En ce sens, il n’est pas excessif d’affirmer que je ne connais rien, je « reconnais » toujours, c’est-à-dire que j’ai toujours une idée préalable, préconçue de ce que je perçois sans quoi il me serait impossible de constituer une idée complète de ce que fatalement je ne peux jamais voir autrement qu’imparfaitement, que partiellement. Cela ne pose pas de problème quand il s’agit de reconnaître mon ami, je reconstitue le portrait complet à partir de ma mémoire, du souvenir que j’ai de son visage, de son apparence globale et c’est ça que je vois. Mais c’est beaucoup plus difficile à concevoir pour des figures, surtout quand c’est la première fois que nous les touchons. Un bébé fait l’expérience de toucher un cube. Que touche-t-il exactement ? Où va-t-il trouver ce « préalable », ce présupposé à partir duquel tous les angles, toutes les surfaces, les angles, et les pointes vont se rassembler dans l’expérience d’un seul et même objet qui sera « un » cube ?

Nous sommes ainsi de plain-pied avec ce « fort loin » pointé par Alain concernant la direction de cette analyse. C’est la querelle entre l’innéisme et l’empirisme. Disposons-nous préalablement, en tant qu'êtres humains dotés de conscience et de raison, d’idées innées grâce auxquelles nos perceptions sont d’emblée et justement orientées vers ce travail de synthèse qui nous permettra de distinguer des figures, de produire des rapports de causalité, d’égalité, d’inférence et de déduction (je ne touche pas en même temps les six faces égales du cube, mais je « sais » qu’elles le sont, de telle sorte que j’acquiers la certitude d’être en face d’un cube) ? Si nous répondons : « oui », nous sommes innéistes. N’est-ce pas, au contraire, à force de toucher des surfaces de dimensions égales que finit par se forger peu à peu la notion d’égalité, laquelle n’est finalement que le souvenir de toutes les perceptions de surfaces ou de segments égaux dont j’ai fait l’expérience sensible dans ma vie ? Si je réponds oui, je suis empiriste. Dans ce dernier cas, j’ai des idées parce que j’ai d’abord des sens. Dans le premier, j’ai des perceptions identifiables parce que j’ai d’abord des idées.
Le philosophe empiriste écossais David Hume exprime ici une thèse essentielle dans la relation entre « la chose » (par exemple toutes les surfaces que nous touchons) et l’idée (le cube) : « Mais former l’idée d’un objet et former tout simplement une idée, c’est la même chose, puisque la référence de l’idée à un objet est une dénomination extrinsèque dont elle ne porte ni marque, ni caractère en elle-même. »
« La référence de l’idée à un objet est une dénomination extrinsèque dont elle ne porte ni marque ni caractère en elle-même » : il n’est rien du cube réel qui fasse écho au terme de cube. Quand je dis de telle perception qu’elle est celle d’un cube, j’accomplis un acte linguistique, mental, culturel qui n’a aucun rapport avec le ressenti des surfaces ou la vison des angles. Comprenons bien ce qui est avancé ici par David Hume. Cela va bien au-delà de l’idée selon laquelle on aurait pu appeler ça « licorne » ou « enclume », plutôt que « cube ». Le philosophe ne nous parle pas de l’arbitraire culturel des langues (la différence entre chien et dog, par exemple, si ce n’était que cela, ce ne serait pas très intéressant). Ce que veut nous dire David Hume, c’est que l’objet est une croyance. Le « cube » n’est pas dans la réalité mais dans l’esprit qui, guidé par le présupposé linguistique de toute dénomination va unifier, orienté qu’il est par la conjecture de la désignation, toutes les surfaces en un objet. Ce que cette affirmation a d’essentiel, c’est de mettre au premier plan le rôle du langage. Ce n’est pas parce qu’il y a des choses qu’il y a des mots, c’est parce que nous utilisons des mots que nous voyons des choses.
Le terme crucial ici est donc celui de dénomination extrinsèque (c’est-à-dire extérieure). Sur le fond d’une multitude de petites perceptions confuses, chaotiques et infiniment fluctuantes, nous « construisons », grâce au langage, des unités (cube, rouge, chien, homme, femme, etc.) qui nous permettent de distinguer des objets, mais les hommes sont les seuls à imposer ce type de découpage aux flux divers de cette incessante émission de forces libérées dans la venue au monde de « ce monde là maintenant ». 

Mais quelle est la différence entre former une idée « comme ça », sans raison, lancer et émettre maintenant le jugement : « cet objet est un cube » ? Juste l’occasion, pour Hume : c’est à l’occasion de ce flux de perceptions, de surfaces, d’angles et de pointes que je dis que c’est un cube, mais le cube n’est pas davantage la vérité de toutes ces perceptions multiples que si je lançais devant une assemblée de personnes l’appel à concevoir un cube, sans en présenter ou en dessiner un. Dans ces deux cas de figure, je « forme une idée » et que je la forme dans le premier à partir de perceptions réelles ne change absolument rien à la nature purement mentale de la notion de cube, laquelle pour le philosophe écossais ne saurait donc être autre chose qu’une croyance.
C’est sur ce point finalement que l’empirisme et l’innéisme s’opposent le plus frontalement, car pour Descartes, notamment il y aura bien une intuition du cube par mon esprit (comme il y avait bien une intuition de « La » cire là où mes sens me décrivent deux réalités sans rapport (le cube et la flaque de cire fondue)). Pour Hume, il n’y a pas d’intuition du cube, pas davantage d’ailleurs qu’il n’y a d’intuition de mon ami ou du « moi » (on pourrait dire qu’il y a une très forte probabilité mais une probabilité, ce n’est jamais qu’une croyance)

On réalise ainsi qu’Alain n’est pas d’accord avec Hume, notamment lorsqu’il nous questionne : « Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'œil, me font connaître un cube ? » Pour compter les points noirs de chaque face du dé et pour compter le nombre de faces d’un cube, il faut bien que je considère que l’objet est le même. Ce n’est pas parce que cet objet a six faces carrées égales qu’il est un cube, c’est parce que je synthétise les visions successives de ces six faces carrées que je les perçois comme composant le « même cube », mais, une fois posée, pour Alain, cette opération de reconnaissance (plus que de connaissance), il n’en demeure pas moins que je connais ce cube. La reconnaissance est devenue connaissance. Mais comment ? Hume serait peut-être tenté de dire, ironiquement, par l’opération du Saint-Esprit.

C’est peut-être sous cet angle qu’il convient d’aborder la fameuse expérience de Molyneux dont nous avons déjà parlée. Bien sûr, les innéistes affirment que l’aveugle-né reconnaitrait le cube et la sphère parce que le toucher aurait suscité dans son esprit l’éveil et l’activation de ces idées générales et innées grâce auxquels quelque chose d’un concept de cube serait bel et bien effectif dans sa pensée et pourrait dés lors s’appliquer sans problème au cube et à la sphère vus, une fois la vision recouvrée. Les empiristes contesteraient une telle conclusion au motif que rien dans notre esprit ne pourrait s’éveiller autrement qu’en étant l’effet d’une sensation. A Leibniz, qui est un innéiste et qui affirme qu’ « il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens, excepté l’entendement lui-même », Hume répondrait que : « non, pas même lui, il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens parce que l’entendement, en lui-même, n’est qu’un « produit », le moment d’un processus d’atténuation, d’association et d’habitude de nos sensations.

Mais si nous allons jusqu’au bout de cette querelle, au sujet du problème de Molyneux, nous arrivons à cette conclusion que, pour un empiriste radical, l’aveugle ne reconnaîtrait pas le cube et la sphère parce qu’il n’y a ni cube ni sphère à percevoir. Supposons qu’un aveugle-né puisse voir pour la première fois. Nul doute qu’il gagnerait dans cette nouvelle sensibilité à la lumière, aux couleurs, aux tonalités chromatiques des impressions nouvelles. Mais pourquoi vouloir à toute force les rabattre sur des objets, sur des idées ? Dans quelle mesure ne pourrait-il pas jouir, dans l’émergence de ces flux de sensations intégralement nouveaux pour lui, de la révélation du fait que ce qu’il avait peut-être pris pour des objets avant n’en sont pas, parce que les impressions débordent de toutes parts l’effet de banalisation et de classification de nos ressentis derrière des concepts ?

« Cette analyse conduit fort loin » dit Alain, et nous avons vu que par ce « fort loin », il était possible d’entendre la texture mentale plus que physique de notre rapport aux choses, aux êtres, au monde. Nous sommes certes passifs dans cette multitude de données physiques qui sans cesse assaillent nos sens (beaucoup plus que nous n’en avons conscience), mais l’activité de notre esprit découpant dans la matière fluctuante de ce chaos perceptif, des objets, des volumes, des choses opère rapidement  et de façon tellement systématique que nous nous laissons aller à croire que nous touchons le dé.
La présence autour de nous d’autres consciences effectuant les mêmes processus de découpage  (distinguer les faces visibles du cube du fond de couleurs dont elles se détachent) et de synthèse (les relier les unes aux autres dans la construction d’un cube perçu par une conscience) participe à la certitude et à l’apaisement d’une réalité qui n’est plus aussi chaotique que celle qui rigoureusement se manifeste à nos sens. 
Il ne serait pas faux, de ce point de vue, d’affirmer que le Robinson de Michel Tournier « perd l’esprit », au sens propre, c’est-à-dire qu’il accède à une perception pure, qui n’est plus structurée par du mental. Ce faisant, il ne vit plus dans un monde « humain ». Le présupposé de la distinction entre un sujet et un objet de perception s’estompe jusqu’à ce qu’il éprouve, à la fin du roman, le sentiment troublant d’une confusion avec l’île qu’il habite.
L’œuvre  de Michel Tournier nous décrit finalement cette sorte de traversée du miroir par le biais de laquelle Robinson finira par réaliser ce fond de justesse et d’authenticité d’une perception crue du réel, c’est-à-dire exclusivement physique, au sein de laquelle les objets et  les êtres reviennent à ce qu’ils sont : à savoir des indices fluctuants sur l’échelle de toutes les forces qui concourent à faire en sorte que cet instant « soit ». Que nous parlions, des objets, des animaux ou des êtres humains, il y a bel et bien quelque chose qui nous unit, qui, au-delà de nos différences, nous rassemble dans la coulée d’une seule et même « chair » mondaine, c’est le fait d’effectuer à tout instant au cœur des forces physiques un certain chiffre d’émission de leurs puissances. De fait, nous émettons une certaine quantité de chaleur, de lumière, de densité, de son. Nous produisons un effet de masse et de pesanteur, et ainsi de suite. Cela signifie, par exemple, que je ne touche pas seulement ce dé en tant qu’objet distinct de moi, mais que je le touche aussi comme un certain chiffre de densité (celui de ma main) rencontre un autre chiffre de densité (plus élevé: celui de la matière (mettons le bois) dans laquelle le dé a été sculpté). Si le dé n’a pas été touché depuis longtemps, le chiffre de chaleur dégagée par mon corps va rencontrer un autre chiffre plus faible, et ainsi de suite. Il existe donc une hauteur (ou une proximité, c’est selon) de vue des rencontres et des perceptions, à l’aune de laquelle rien d’autre ne se produit que des équilibres entre des variables au gré de toutes les forces dont l’émission constitue finalement la texture la plus matériellement vraie de chaque instant du réel. Aborder le monde sous cet angle, c’est tout simplement en avoir fini avec « l’illusion » de l’altérité.
(Petite parenthèse pour se repérer dans l’histoire de la Philosophie : c’est là une option philosophique « forte » dont l’affirmation a toujours été l’occasion d’une opposition entre deux « camps » de philosophes : ceux qui croit ainsi à l’unité du monde, à son immanence (c’est-à-dire ceux qui pensent que l’altérité est une illusion) : Les Stoïciens, Spinoza, Bergson, Deleuze et ceux que croit à sa distinction, à la transcendance d’un principe ou d’un être infini : Platon, Descartes, Kant, Lévinas) – Il existe plusieurs axes de différences que nous pouvons relever au fil de cette opposition, mais les premiers ne sont pas nécessairement athées car il est possible de croire à la présence de Dieu dans le monde comme monde. Dieu c’est alors la nature, comme le dit Spinoza, mais ça n’est pas moins Dieu).
Nous pouvons plus modestement pointer l’opposition entre deux épopées pour illustrer ce rapport différent avec l’objet. La quête du Graal raconte la recherche de la coupe ayant recueilli le sang du Christ par les chevaliers de la Table Ronde. Il s’agit bel et bien d’un objet dont il faut s’assurer la possession. Dans un tout autre cadre, à savoir celui d’une œuvre purement littéraire (et non religieuse), la Trilogie de Tolkien raconte les aventures de tous les héros de la communauté de l’anneau dont le but est non pas d’acquérir un objet mais de le détruire. Il convient de prêter une très grande attention à ce point. Frodon, Sam, Aragorn, Legolas, Gandalf, etc. n’aspirent qu’à une seule chose : que l’anneau de Sauron redevienne ce qu’en réalité il n’a jamais tout-à-fait cesser d’être : de l’or fondu dans le feu de la montagne du Destin car c’est là qu’il a été forgé.

Nous mesurons bien à quel point tous les personnages, à l’exception très notable de Sam le jardinier, sont, à un moment ou à un autre, tentés par l’appropriation de l’objet : « anneau », précisément parce qu’il est perçu en tant que tel, résultat d’un ouvrage mêlant la forge et la magie : OBJET donnant le pouvoir absolu qui le possède. L’assimilation de l’objet et du pouvoir, c’est très exactement la conception qui prévaut aujourd’hui comme critère de considération et de reconnaissance de chacun de nous au sein de la société. L’objectif avoué de la communauté de l’anneau, en-deçà de la défaite de Sauron, consiste finalement à confondre l’anneau, à le ramener dans le flux de son origine élémentaire, dans le creuset des forces physiques dont il n’est finalement qu’une phase, qu’un moment provisoire et éphémère.
Nous réalisons alors qu’après tout, le mouvement accéléré des progrès technologiques nous ont fait perdre de vue une réalité incontournable : les découvertes les plus révolutionnaires manifestant l’étendue du pouvoir humain sur « les choses » ne sont elles-mêmes que des transformations provisoires de forces et d’éléments naturels. L’anneau a beau avoir été forgé à partir du minerai et du feu, il n’est jamais que ça : cette association de forces, de mutations et d’éléments par quoi aucune chose, être ou animal  jamais n’est tout-à-fait distinct d’une autre chose, d’un autre être ou d’un autre animal. L’aventure humaine, dans son intégralité, n’est qu’un moment de l’incessante évolution des forces universelles et physiques sous l’effet desquelles ce qui est « est ».

Revenons au dé, comme nous y invite Alain, la considération que nous venons de développer est, une autre manière d’instaurer une certaine distance à l’égard de la thèse défendue par l’auteur. Il serait plus honnête d’affirmer qu’elle revient à se situer à un niveau qu’il ne prend pas du tout en compte, parce qu’il s’agit précisément de « toucher le dé », finalement et de montrer tout ce que cette perception doit au mental, à l’entendement. Mais, contre ce mental, contre cette affirmation qu’une perception juste est une perception pensée, capable de se détacher des erreurs de perspectives qui viendrait de nos sens, le livre de Michel Tournier et celui de Tolkien nous dessinent, de façon très différentes, une autre voie, celle du corps, celle d’un univers ramené à ce qu’il est irréductiblement, soit la donne de sa plasticité élémentaire, physique et dynamique. Alain a raison tant que nous nous plaçons dans cette perspective commune selon laquelle il y a bel et bien un dé à percevoir, mais peut-être n’est-il pas allé aussi loin qu’il le pensait dans la réfutation de ce que l’on soutient « communément ». Pour qu’il y ait ce cube sculpté à appréhender en tant qu’objet, encore faudrait-il que je sois sûr d’être fait d’un bois différent, d’une texture existentielle distincte, ce qui est très loin d’être certain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire