mardi 13 juin 2017

Des citations utiles à quelques jours de l'épreuve (3)


(Une dernière remarque sur ces citations utiles pour l’épreuve de Philosophie au baccalauréat : ce qui peut disposer très favorablement le jugement de notre correcteur, c’est moins le fait que nous connaissions des citations que la présence d’esprit dont il a fallu faire preuve pour penser, à ce moment là, à l’occasion de ce sujet là, à cette citation là. C’est  la raison pour laquelle la justification de son utilisation est aussi déterminante. Ce qui manifeste une qualité d’implication et de compréhension authentique par rapport à cette matière, c’est cette aptitude à faire le lien entre une question ou un élément de réflexion concernant le sujet et les paroles d’un auteur dont on a parfaitement assimilé le sens. Le rappel de la citation ne peut donc aspirer à la moindre reconnaissance de la part du correcteur, en termes de notation, s’il n’est pas accompagné de son explication et de l’indice de progression qu’il nous permet de réaliser par rapport au traitement précis du sujet)

« Un fait scientifique, c’est ce que fait la science en se faisant » - Georges Canguilhem (1904 – 1995)

Il convient de ramener cette citation de Georges Canguilhem à la préface de la seconde édition de « la critique de la raison pure » d’Emmanuel Kant : « Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire à la laisse par elle; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. » « Ils » désignent Galilée, Stahl et Torricelli, les tenants de ce que l’on appellera : « la science moderne ». Le fait scientifique ne marque pas en aucune manière la prise d’initiative de la nature. Quand une expérience fait signe de l’efficience d’une réalité, cette dernière ne paraît qu’à l’occasion de la question préalable du scientifique, à savoir l’hypothèse. Celle-ci est toujours première et cette antériorité détermine la texture même du fait qui se trouve être scientifique et non naturelle. Il existe au cœur des organismes naturels des processus immunitaires mais l’idée du vaccin n’est pas pour autant « naturelle », elle est, de bout en bout scientifique. Nous pouvons même aller plus loin : c’est toujours sur le fond préalable d’une question scientifique formulée dans des termes techniquement définis par leur époque que les réalités se dévoilent et elles ne se dévoilent jamais comme des faits définitifs. Par exemple, la nature des anneaux de Saturne ne cessera jamais d’évoluer, en fonction des instruments et des questionnements des scientifiques de leur époque (on a cru longtemps qu’ils étaient faits de débris de météorites, puis on a pensé à de la glace, puis aujourd’hui on parle de composition gazeuse ; nous progresserons nécessairement dans la connaissance des ses gazs et ainsi de suite). Nous réalisons que la nature même de cette réalité « donnée » (Saturne a bien des anneaux) est en réalité « construite », c’est-à-dire scientifique déterminée. Les anneaux de Saturne sont, donc, en ce sens un fait scientifique dans la connaissance progressive duquel il apparaît clairement que la science ne cesse jamais de se « faire », de se constituer et de se perfectionner. La science s'effectue donc dans ce mouvement par le biais duquel les faits sont pris dans la dynamique d'un "devenir scientifique" qui anime la réalité même.

« Un concept sans intuition est vide, une intuition sans concept est aveugle. »
                                                                                           Emmanuel Kant

Par cette phrase, Emmanuel Kant essaie de résoudre la querelle entre l’innéisme (il existe dans l’esprit des idées innées) et l’empirisme (nous n’avons d’idées qu’à partir de nos sensations). Si nous avions l’idée (le concept) de cube sans avoir jamais perçu physiquement de cube, nous n’aurions aucune matière sur laquelle notre esprit pourrait exercer son travail de synthèse. Il faut bien que l’œuvre de généralisation, de classification et de recueillement de notre esprit s’effectue sur quelque chose dont nous faisons sensitivement l’épreuve. Je peux savoir qu’un cercle est une figure dont tous les points se situent à égale distance de son centre, cette conceptualisation ne me sera d’aucune utilité si je fais pas l’expérience concrète, matérielle d’un cercle. Inversement, si je n’avais que des données intuitives, sensibles sans concept, je serai incapable de savoir ce que c’est, de synthétiser tous les angles et toutes les perspectives dans « une » figure. Il importe donc que mon entendement et ma sensibilité, tout en étant distincts l’un de l’ autre participent l’un de l’autre.

« Il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens excepté l’entendement lui-même. »   Leibniz

                             
Cette phrase pourrait être considérée comme le leitmotiv de la position innéiste. Leibniz fait d’abord semblant de défendre une position empiriste (jusqu’à excepté) avant de la prendre littéralement à contre-pied. Pour que des données sensibles entrent dans mon entendement et y deviennent des concepts, encore faut-il que mon entendement soit d’emblée et structurellement, dans sa nature même « conceptualisant ». Cela signifie qu’il obéit déjà à des lois : celle de la rationalité et de la logique, lesquelles ne sont pas le produit d’une expérience. Ces lois sont « le dedans » d’un entendement. Elles peuvent s’exercer sur le dehors des sensations nées de ce que  nous éprouvons, mais elles n’en sont pas le fruit. C’est finalement l’existence même de ces lois que Socrate, dans le dialogue de Platon : « Ménon », révèle chez un esclave n’ayant jamais été instruit par un précepteur. Cela signifie bien que toute personne dotée d’un entendement détient en lui ces lois, indépendamment de tout enseignement.

« L’Etat, c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l'État, je suis le Peuple. » »
                                                                                       Friedrich Nietzsche

Nietzsche exprime ici le mensonge inhérent à la notion même d’état, laquelle consiste à aseptiser, à anémier, et finalement à éteindre la vigueur même d’une nation, à savoir le peuple. Nous retrouvons donc dans cette citation l’affirmation de la distinction fondamentale entre l’Etat et la Nation. Autant le premier désigne une structure légale s’imposant à un territoire pour en faire une juridiction, autant le second fait écho à la culture d’un peuple, à son histoire, sa langue, ses traditions. Il existe des nations sans états ou des Etats regroupant tant bien que mal plusieurs nations (l’éclatement de l’URSS a montré la multitude de nations maintenues artificiellement sous le sceau de lois communes, pendant l’ère communiste). L’Etat est aussi froid, abstrait, désincarné, que la nation est « chaude », profonde, viscérale, irrationnelle et enflammée. Le général de Gaulle, à Londres, appelle à la résistance de la nation française quand l’Etat français, c’est-à-dire le territoire, est envahi et se prépare à collaborer avec l’occupant. Le vocabulaire qu’utilise le général ne contient que des expressions empruntées au registre lexical de la nation, par opposition à l’Etat.

« Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre. »                                                                                                         Le contrat social –  Rousseau

Cette citation est vraiment fondamentale dans la mesure où elle contient toutes les notions autour desquelles s’articule le projet Rousseauiste de rendre le statut de citoyen et la condition de liberté non seulement compatibles mais surtout indissociables et corrélatifs. Afin que l’Etat assure aux hommes la possibilité de jouir de leur liberté individuelle, il importe qu’il se désincarne dans une instance abstraite, anonyme, symbolique. C’est exactement le rôle joué par la volonté générale. Obéir à l’Etat, ce n’est pas obéir à quelqu’un mais à tout le monde. On pourrait tout aussi bien dire : « à personne », voire à soi-même, puisque nous sommes représentés, au même titre que tous les citoyens de l’Etat, par cette volonté générale. Ne pas se rallier à cette volonté générale sous le prétexte qu’elle n’est pas une personne physique serait donc aussi illégal, vain que stupide et liberticide. C’est justement parce que l’Etat est une personne morale, et non physique que nous ne nous soumettons à personne en le respectant et en appliquant ses décrets. Si un citoyen se démarquait de son statut et revenait à sa condition d’homme opposé aux décisions de la volonté générale au sein de l’Etat, il reviendrait à la force publique de le ramener par la force à lui-même, c’est-à-dire à la liberté dont il semble avoir oublié la condition première, soit le caractère anonyme, symbolique et artificiel de l’Etat. Par « artificiel », il ne faut pas entendre ici : « inutile ou accessoire » mais plutôt « non naturel », produit par un processus rationnel, comme l’est une machine. L’Etat est donc bel et bien « une machine » parce qu’il faut que les hommes construisent ensemble une entité, une instance susceptible de les représenter tous sans pour autant être personne. Artificiel signifie donc « contractuel », issu du consentement réfléchi et rationnel des hommes. Sur ce point là, et sur celui-ci seulement, Hobbes et Rousseau sont donc d’accord. Forcer l’homme à être libre revient donc à le libérer « malgré lui », ce qui pose évidemment beaucoup de problème : « peut-on libérer un homme contre son gré ? » Oui, répond Rousseau, s’il n’est pas assez lucide pour saisir la vraie nature de sa liberté de citoyen, laquelle passe par le contrat, par la représentation et par le respect de la volonté générale.

 « Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent. » 
                                         Epictète, Entretiens, livre I, XXXV.

Cette citation exprime l’une des thèses fondamentales des Stoïciens. Il est non seulement vain mais aussi inexact de définir la liberté comme le pouvoir de faire tout ce qui nous plaît, c’est-à-dire n’importe quoi. La liberté ne consiste pas à nier toutes les contraintes, bien au contraire. Si je veux appeler mon ami, encore faut-il que je l’interpelle par son nom, lequel est imposé, donné. Il en va de même pour tout ce qui nous arrive. Si je suis marié, que j’aime mon épouse et que celle-ci meure, je serai nécessairement triste, mais il serait faux d’affirmer que ma liberté d’homme marié a été niée par cet événement. Il n’est pas question d’affirmer que ma liberté consiste à vouloir qu’il m’arrive quelque chose de bien mais plutôt à réaliser que tout ce qui m’arrive est bien. Vouloir ne pas être veuf quand je le suis n’a, au sens propre, pas « lieu d’être » parce que c’est déjà en tant que veuf que j’exprime le désir de ne pas l’être. Il ne s’agit donc pas de pleurer sa prétendue liberté perdue parce qu’il nous est arrivé quelque chose que nous ne voulions pas mais de comprendre au contraire que nous ne pouvons vouloir qu’à partir de ce qui nous arrive. Que je le veuille ou pas, c’est en tant que veuf qu’il m’appartient désormais de « vouloir », et c’est cela que signifie la définition donnée par Epictète de la liberté : « vouloir que les choses arrivent comme elles arrivent », parce que c’est là que ma volonté commence et non là où elle finit.

« L'art ne reproduit pas le visible; il rend visible. »
                                                                                                     Paul Klee
Pour bien comprendre le sens profond de cette citation, il faut se rappeler qu’il existe trois définitions opposées de l’Art : imitation (Platon, Aristote), création de l’esprit (Hegel), capture des forces, (Bergson, Deleuze). Cette affirmation de Klee se range dans la troisième conception, par opposition à la première. Puisque elle évoque la visibilité, il est clair que Klee évoque plutôt les arts visuels mais elle s’applique pareillement à la musique (l’art ne reproduit pas le sonore, il rend sonore) et à toutes formes d’Art. Quand Van Gogh, Cézanne, Monet peignent des paysages, ils n’essaient pas de peindre des arbres, de l’herbe, des rochers, etc. Ils ne peignent pas un motif mais rendent compte de ce processus par le biais duquel c’est sur le fond naturel de forces efficientes qu’un instant « vient au monde ». Les cyprès de Van Gogh sont des flammes vertes au sein desquelles les forces thermiques, telluriques, végétales, atmosphériques se mêlent et créent la confusion. En fait, il n’y a que de la confusion. Ce qui importe à l’artiste, c’est de se tenir au plus prés de la soudaineté de ce processus par le bais duquel des forces ne cessent de faire venir au monde des instants dynamiques, exclusifs, uniques. Notre réel n’est tissé que de points remarquables mais le langage, la fonctionnalité  et l’habitude parasitent suffisamment nos yeux pour que nous n’apercevions que des lieux communs. Nous ne voyons pas l’action continue de ces forces. C’est donc ce que le peintre s’efforce de rendre visible au travers de ses toiles.

« Dieu ne joue pas aux dés. »
                                                          Albert Einstein

Il serait très hasardeux de déduire précipitamment de cette citation qu’Einstein croit vraiment en Dieu, du moins comme le fidèle d’une religion. Ce serait contraire à tous les témoignages, ainsi qu’à l’extrait de cette lettre qu’il envoya au rabbin Goldstein, en avril 1929 : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l'ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un dieu qui se préoccupe du sort et des actions des êtres humains."  Le Dieu de Spinoza, comme il a été dit lors d’un article précédent, c’est la nature, la manifestation d’une causalité rigoureuse entre les phénomènes. L’ordre harmonieux de ce qui existe, c’est justement tout le contraire de celui qu’une intelligence supérieure et transcendante lui imposerait « du dessus ». Il n’y a « que ce qui est », et il se trouve que « ce qui est » est sensé, rationnel, organisé. C’est précisément ce déterminisme des causes et des effets au sein de la nature qu’Einstein tient ici à défendre face à l’émergence d’une physique faisant de plus en plus droit, sous l’impulsion de la physique quantique, à l’aléatoire. La physique quantique doit beaucoup à la théorie de la relativité générale mais Einstein n’est pas pour autant favorable à tout ce que certaines implications de la physique quantique recèlent de proprement révolutionnaire pour les Sciences. En affirmant que « Dieu ne joue pas aux dés », Einstein exprime l’idée qu’il tient encore finalement à la notion de Sens. Il faut bien que l’univers ait un sens. Si Dieu jouait aux dés, cela signifierait que tout ce qui aujourd’hui existe aurait pu exister différemment et que l’univers ne serait doté d’aucune lisibilité.
Il est difficile de ne pas relier cette citation aux réflexions actuelles sur la notion de multivers. Les travaux d’Einstein, dans le domaine de la cosmologie, contribuent à donner un certain poids à cette idée, mais paradoxalement, il semble difficile d’explorer vraiment et durablement les aboutissants des univers multiples, sans parvenir à une conclusion qui contredit l’auteur de la théorie de la relativité. Si l’univers est infini (parmi les trois modélisations proposées par Einstein, deux décrivent un univers infini), alors il ne l’est pas seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Ce que l’on y fait une fois s’y accomplit donc une infinité de fois. Jouer aux dés une fois dans un plurivers, c’est rendre réelle l’infinité de tous les tirages possibles. La proposition d’Einstein est alors susceptible d’être inversée : « Si Dieu ne joue pas aux dés, il devient envisageable de considérer qu’au sein d’un plurivers les dés ne jouent pas Dieu. »

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