lundi 4 septembre 2017

La Conscience, l'Inconscient, le Sujet


Exercices Préalables :

-       Brain storming sur toutes les expressions contenant le mot conscience
-       Travail de distinction de termes : Prendre conscience / Prendre connaissance – Ame / Conscience – Regarder / Voir – Vivre / Exister
-       Expliquer les citations suivantes : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » Rabelais - « La conscience fait de nous tous des lâches » Shakespeare - « On ne prend conscience que par opposition de soi à soi » Alain -  « Connais-toi toi-même  et tu connaîtras l’Univers et les Dieux !» Socrate - « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison » Freud
-       Dans l’extrait de l’Etranger, pointez ce qui relève de  a) la conscience immédiate, b) réfléchie, c) morale.

Introduction : Conscience, Témoignage et Mise en scène

Je suis triste, puis voilà que je prends conscience de ma tristesse. Qu’est-ce que ce « second temps » a rajouté au premier ? La réalisation d’un sentiment qui m’affectait « avant », sans que je m’en aperçoive. C’est comme si, en moi, deux personnages s’étaient clairement divisés : l’acteur pris dans sa tristesse et le spectateur qui se rend compte qu’il est triste, qui s’aperçoit lui-même comme un reflet dont il peut percevoir l’émotion, la commenter, la mettre à distance. L’acteur vit sa tristesse dans un présent pur, total. Il n’est que tristesse. Le spectateur déjà la conjugue au passé parce qu’il est capable de distinguer la tristesse de lui-même (l’acteur). Etre conscient, c’est être accompagné d’une petite voix qui constamment nous fait un rapport de ce qui nous arrive, et ce compte-rendu ne peut s’effectuer en direct. Il y a nécessairement un temps infime pendant lequel ce que je vis n’est déjà plus dans l’instant même où je me rends compte que je le vis. Je sais que je suis triste mais cette conscience ne s’effectue plus dans l’épreuve directe de la tristesse pure. Ce que je vis consciemment est déjà du récit, c’est-à-dire du passé dont je suis à la fois le héros et le narrateur. Rien n’est immédiat dans une vie consciente. Nous pratiquons constamment, en tant qu’êtres conscients, une forme d’ « existence désynchronisée ». Quoique nous vivions consciemment, nous le vivons « de seconde main ».
On distingue souvent la conscience immédiate et la conscience réfléchie. La première désigne la conscience que nous avons du monde, des objets, des autres. Je suis conscient de cette salle. Mais le terme de conscience spontanée est discutable, voire contradictoire : je peux saisir que cette salle est là, mais de deux choses l’une, soit je vis sa présence de façon brute, immédiate, directe et alors je n’en suis pas conscient, soit je me rends compte qu’il y a cette salle et dés lors, je n’éprouve plus de sensations pures, immédiates. Le passage du meurtre dans le roman de Camus l’Etranger est particulièrement éclairant de ce point de vue. Meursault décrit une suite de sensations : la brûlure du soleil, le voile de sueur, la lumière de l’acier, le rideau de larmes et de sel, etc. Peut-on parler pour autant d’une conscience spontanée qui ne parviendrait pas à se rendre compte qu’il est en train de tuer un homme ? Non parce qu’aussi brutes et ponctuelles que soient ces impressions, Meursault ne cesse de se les rapporter à lui-même. Ce n’est pas la chaleur qu’il vit, c’est la conscience d’avoir chaud qu’il raconte. Tout ici n’est que conscience réfléchie, réalisée, rapportée, conceptualisée. L’autre perspective que questionne ce passage, c’est celle de la conscience morale. C’est seulement à la fin qu’il semble réaliser les implications de son geste et encore n’évoque-t-il que le malheur qui le concerne, pas celui de l’homme sur lequel il vient de tirer dessus.
Meursault est le héros de la conscience réfléchie parce qu’il aborde tout ce qu’il vit sous l’angle de l’observation neutre, sans jugement, mais il est la victime de la conscience morale des autres. On ne peut pas « décemment » boire du café au lait devant le cercueil de sa mère, ni tuer un homme parce qu’on a trop chaud.
C’est précisément ce lien entre conscience réfléchie et conscience morale qu’il convient d’interroger. Pourquoi la question de la conscience de l’accusé au moment des faits est-elle si prépondérante au moment d’un procès ? Parce qu’un acte que nous avons accompli sans le savoir n’est pas considéré comme étant le « notre ». Ce second temps de la conscience est aussi celui de la maîtrise, du contrôle, de la revendication. Se concevoir soi-même comme un sujet doté de la capacité de dire « je », c’est d’abord cela : ce retrait, ce temps infime du décalage qui me permet, étant triste, de savoir que je suis triste, de glisser du « je » entre du sentiment et du corps. On pourrait dire, sans jeu de mots, que le « je » c’est ce qui s’insinue dans le vide créé par la conscience, c’est ce qui fait qu’il y a, par la conscience, un effet de vide, un « jeu » qui s’insinue entre moi et la sensation, entre moi et les autres, entre moi et le monde, entre moi et moi. Le « Je », c’est ce qui s’instaure du fait qu’il y a du jeu en moi. Je ne suis pas « d’une seule pièce », sauf dans l’inconscience du sommeil comme dit Alain, ou dans l’ivresse, ou dans l’emportement aveugle.
 C’est exactement ce qui fera que l’on trouvera quelques circonstances atténuantes à l’époux trompé tuant l’amant de sa femme, sous le coup d’une pulsion aveugle. On dira alors qu’il n’était pas « lui-même », étant entendu que, pour être même que soi, il faut d’abord que la conscience ait fait jouer en moi ce décalage entre l’acteur et le spectateur ou le metteur en scène. Il ne savait pas ce qu’il faisait au moment du meurtre parce que la colère n’a pas rendu possible la prise de recul, la réalisation par le spectateur de ce que l’acteur était en train de faire. Ce n’est pas lui qui a tué l’amant de sa femme, c’est la colère.
Nous comprenons ainsi de mieux en mieux ce qui s’insinue dans ce décalage entre ce que je vis et ce dont je m’aperçois que je le vis : avec la conscience, c’est la prise en charge, la responsabilité assumée. Se rendre compte devient dés lors « avoir des comptes à rendre » aux autres, à la collectivité, aux institutions, être un sujet qui, parce qu’il est maître de ses actes, doit en « répondre ». Mais la question se pose alors de savoir si la conscience est un « outil » qui me permet de savoir vraiment qui je suis. Ne serait-elle pas plutôt un produit dérivé de la vie en société, la possibilité pour la collectivité dont je suis membre de m’assigner la responsabilité d’actes, de pensées, de sentiments qui en réalité « sont » sans être réellement les « miens » ? Suis-je vraiment ce que j’ai conscience d’être ? Se pourrait-il, à l’inverse, que la conscience ne consiste que dans ce détachement, ce décalage du spectateur par rapport à l’acteur par le biais duquel nous ne vivons  jamais « présentement » l’instant présent ? Nos actes conscients sont-ils autre chose que des conduites inventées, superficielles, fausses à l’intérieur desquelles nous nous racontons à nous-mêmes l’histoire d’un sujet libre que nous baptisons « je » et qui serait tout autant libre de ses actes que responsable aux yeux des autres ? La conscience nous permet-elle de réaliser vraiment quelque chose de nous-mêmes ou bien n’est-elle que le produit dérivé et superficiel de la vie en société ?

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