jeudi 30 novembre 2017

Explication du texte de Karl Marx - La référence à Georg Wilhem Friedrich Hegel et quelques éléments pour une introduction


« En quoi consiste l’aliénation du travail ?
D’abord, dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s’affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l’ouvrier n’a le sentiment d’être auprès de lui-même qu’en dehors du travail et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est comme chez lui, quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son travail n’est donc pas volontaire, mais contraint, c’est du travail forcé. Il n’est donc pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l’homme s’aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l’ouvrier du travail apparaît dans le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas, que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. De même que, dans la religion, l’activité propre de l’imagination humaine, du cerveau humain et du cœur humain, agit sur l’individu indépendamment de lui, c’est-à-dire comme une activité étrangère divine ou diabolique, de même l’activité de l’ouvrier n’est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même.
On en vient donc à ce résultat que l’homme (l’ouvrier) ne se sent plus librement actif que dans ses fonctions animales, manger, boire et procréer (…). Ce qui est animal devient humain et ce qui est humain  devient animal. »
                                                                   Karl Marx, manuscrits de 1844

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte du problème dont il est question.


Il est difficile, voire impossible de comprendre ce que Marx entend par aliénation si on ne saisit pas ce qui est aliéné et il convient pour cela de faire référence à Hegel dont l’œuvre est vraiment déterminante pour la philosophie de Karl Marx
«  L’homme est un être doué de conscience et qui pense, c’est-à-dire que, de ce qu’il est, quelle que soit sa façon d’être, il fait un être pour soi. Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et d’une seule façon, tandis que l’homme parce qu’il est esprit a une double existence; il existe d’une part au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part, il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n’est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi. Cette conscience de soi, l’homme l’acquiert de deux manières : primo théoriquement, parce qu’il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du cœur humain et d’une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence (ici comme nature), enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu’il tire de son propre fond que dans les données qu’il reçoit de l’extérieur. Deuxièmement, l’homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu’il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s’offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu’il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L’homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger  et pour ne jouir des choses que parce qu’il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. »
                                   G W F Hegel - Esthétique

Pourquoi l’homme travaille-t-il ? Pourquoi éprouve-t-il cette nécessité de fabriquer, de concevoir, de transformer la nature pour lui imposer sa marque en utilisant les éléments extérieurs comme « matière première » de la construction d’objets humains ou de ressources utiles à son existence humaine (biens de consommation). Les animaux utilisent eux aussi la nature pour en retirer le fruit de leur subsistance mais cela ne fait pas advenir pas pour autant un milieu proprement animal (la terre n’est pas à l’image de la fourmi ou de la termite). Il y a donc quelque chose de spécifiquement humain qui se joue dans cette activité : le travail.


Dans cet extrait de l’esthétique de Friedrich Hegel, le philosophe allemand répond à la question de savoir en quoi consiste exactement cette spécificité. L’homme est conscient, il existe « pour soi » et pas seulement « en soi ». « Les choses de la nature », c’est-à-dire les végétaux, les animaux « sont » et ne font qu’être, selon Hegel alors que les hommes savent qu’ils sont, puisque ils sont conscients. Ils existent « pour eux-mêmes » et pas seulement « comme ça ». Vivre n’est pas seulement une action qui les fait vivre mais ils s’en aperçoivent, c’est pour cela qu’ils existent et ne se contentent pas de vivre (alors que l’animal, selon Hegel vit, et c’est tout).
Or, cette conscience que l’homme a de lui-même est acquise de deux façons : l’une intérieure (l’homme se pose trois questions : qu’est ce que je ressens ? Que suis-je ? Qui suis-je ?), l’autre extérieure : l’homme se tourne vers ce qui est hors de lui, à savoir la nature, et il la transforme matériellement pour lui imposer sa trace, c’est-à-dire pour lui donner un usage, une fonction typiquement humaine. Devant une chaise ou une table, l’homme éprouve le sentiment d’une reconnaissance générique (générique : genre). Il est conforté en tant qu’homme parce que la chaise est du bois modelé, découpé, transformé selon les contours imposés par le travailleur humain pour le consommateur humain.  D’une matière naturelle : le bois, l’homme a fait un objet exclusivement humain.
Le travail c’est la mutation imposée par l’homme à la nature de telle sorte que le monde est pris dans un « devenir humain », dans le mouvement d’une évolution (on pourrait dire un progrès ou une histoire) dans le flux de laquelle nous nous reconnaissons de plus en plus dans une « extériorité » qui nous est de moins en moins extérieure puisque les objets et les constructions humaines prolifèrent dans une nature qui est de moins en moins elle-même. L’évolution du travail et de la technologie suit la dynamique de ce processus au gré duquel nous nous reconnaissons de plus en plus dans ce qui nous entoure.
Cela nous permet de comprendre deux points vraiment cruciaux pour la compréhension du texte de Karl Marx :
- Le travail est une activité qui permet à l’homme de réaliser son essence, et cette essence réside dans le fait d’être conscient, d’être pour soi. Si ce mouvement de reconnaissance de soi dans un travail de transformation de la nature est empêché, alors c’est l’accès à la réalisation de notre condition humaine qui nous est interdit. Et c’est ça l’aliénation (au-delà de l’ouvrier, c’est l’être humain qui se voit destitué de son humanité)
- Cette essence de l’homme qui s’accomplit au fur et à mesure de ce travail de transformation de la nature n’est pas un état, un fait acquis, mais un mouvement, un « devenir », ou plutôt l’interaction de deux devenirs qui vont participer l’un de l’autre : le « devenir humain » du monde et le « devenir monde » de l’humain. En d’autres termes, comme l’essence de l’homme est un devenir, c’est-à-dire comme l’homme n’en finit pas « d’avoir à être ce qu’il est » par son travail, on peut l’en empêcher et c’est ce que cette « longue parenthèse » d’exploitation de l’homme par l’homme réalise malheureusement. Une créature dont la nature même est de devenir se voit empêchée d’être elle-même parce que l’on bloque ce devenir. Qui « on » ? Pas tant la classe dominante que la structure même de société rendant possible qu’il y en ait une et c’est cette structure même qu’il faut renverser par cette autre structure : celle d’une société sans classes : le communisme.

Il est une autre perspective fondamentale qu’il faut bien assimiler pour comprendre le sens du texte, c’est que l’aliénation considérée comme perte par l’être humain de son essence va de pair, pour Marx avec une forme d’animalisation. L’homme aliéné s’animalise dans un travail dévoyé, perverti. Un peu plus loin dans l’œuvre d’où ce passage est extrait, on trouve le texte suivant :
« Par la production pratique d'un monde objectif, l'homme fait ses preuves en tant qu'être générique conscient, c'est-à-dire en tant qu'être qui se comporte à l'égard du genre comme à l'égard de sa propre essence, ou à l'égard de soi, comme être générique. Certes, l'animal aussi produit. Il se construit un nid, des habitations, comme l'abeille, le castor, la fourmi, etc. Mais il produit seulement ce dont il a immédiatement besoin pour lui ou pour son petit ; il produit d'une façon unilatérale, tandis que l'homme produit d'une façon universelle ; il ne produit que sous l'empire du besoin physique immédiat, tandis que l'homme produit même libéré du besoin physique et ne produit vraiment que lorsqu'il en est libéré; l'animal ne se produit que lui-même, tandis que l'homme reproduit toute la nature ; le produit de l'animal fait directement partie de son corps physique, tandis que l'homme affronte librement son produit. L'animal ne façonne qu'à la mesure et selon les besoins de l'espèce à laquelle il appartient, tandis que l'homme sait produire à la mesure de toute espèce et sait appliquer partout à l'objet sa nature inhérente; l'homme façonne donc aussi d'après les lois de la beauté. »
Il ne s’agit pas ici de faire valoir des arguments contre Marx mais de saisir ce qui dans ce texte prolonge ou explique celui que nous étudions. On retrouve dés le début le rapprochement avec Hegel. C’est en tant qu’être conscient que l’homme travaille. Autrement dit, il y a bien dans le travail une activité spécifique à un GENRE : l’homme. Toute personne qui travaille accomplit quelque chose de propre à l’espèce. Tout travail authentique d’Un être humain réalise de l’humain, participe à la reconnaissance de l’homme par l’homme (on peut retenir cette expression qui fait parfaitement écho à l’exploitation de l’homme par l’homme).
« L’animal aussi produit » nous dit Karl Marx mais il va énumérer des points de distinction (6) entre l’activité animale et le travail humain. Ces caractéristiques sont fondamentales (discutables aussi probablement, mais ce n’est pas le moment de les contrarier) : a) la production animale n’est pas générique, elle ne vise qu’à satisfaire l’animal en question et sa progéniture – l’animal ne conquiert pas sa condition dans son travail, il se nourrit, c’est tout. Il produit pour consommer pas pour s’affirmer (il vit, il n’existe pas) b) comme il travaille génériquement, l’homme travaille universellement, il engage l’humanité dans son travail, l’animal n’engage rien du tout. Il n’y a rien de symbolique dans l’activité animale. Par « unilatérale », il faut entendre que la production animale ne concerne que tel animal et la nature ; c) l’homme produit indépendamment de sa faim immédiate. Il lui faut être libre de cette pression pour travailler vraiment, c’est-à-dire librement. C’est le contraire pour l’animal d) Comme l’animal ne cherche pas à se reconnaître dans son activité, il ne vise pas à transformer la nature dans son intégralité mais juste à en retirer sa subsistance e) il n’y a pas vraiment d’extériorité entre le produit de l’animal et son être, le miel fait partie de l’abeille. Les objets que nous fabriquons ne font pas partie intégrante de notre être physique f) il y a une forme de cohérence dans la production humaine qui donne à tout objet transformé une authenticité. La transformation humaine de la nature élève la nature, l’investit d’une harmonie comme si dans cette œuvre humaine quelque chose d’un devoir-être de la nature se concrétisait (beauté).


Quelques éléments pour l’introduction (les développements qui suivent constituent de simples indications qui vous laissent une totale marge de manoeuvre, surtout pour le thème. Il convient de les utiliser sans les retranscrire littéralement) :  

Thème :   Quand on a bien lu le texte, on saisit rapidement qu’il est porté par un sentiment de révolte. Tout ici est dénonciation d’une perversion, au sens étymologique du terme : détournement (per vertere : ce dont la tournure a été viciée tordue). Peut-être sommes-nous trop plongés dans notre modernité et abrutis par cet a priori défavorable du travail pour saisir le fond de la critique Marxiste, à savoir qu’il est vraiment hallucinant que nous allions au travail comme un bœuf à l’abattoir, en sachant que nous allons y épuiser l’énergie la plus « pure » au sens de « raffinée, essentielle », celle où se joue notre essence « d’être humains ».
Pour nous indigner de ce détournement, encore faut-il que nous soyons capable d’aller à contre-courant de cet état d’esprit, de cette dépréciation du travail qui est devenue si puissante et tyrannique qu’un lycéen travailleur peut dans certaines classes être considéré comme un « fou », ou comme le portrait type du « premier de la classe », du « lèche-bottes ». S’ « intéresser » à son travail, ici encore au sens étymologique du terme : « inter esse », c’est-à-dire être dans ce rapport, s’incarner dans ce lien au travail que l’on fait, est perçu par le plus grand nombre, comme une anomalie. Comment le fond de cette normalité là a-t-il pu s’installer dans la société d’aujourd’hui ?
Comment peut-on trouver anormal de s’investir dans une activité qui, en créant nos conditions matérielles de vie, nous crée nous-mêmes ? Comment en sommes-nous arrivés à marginaliser celle ou celui qui s’implique et met tout en œuvre afin d’exister dans et par son travail ? La situation est aujourd’hui devenue tellement absurde que « faire semblant de travailler au travail » est, pour la majorité, devenu un leitmotiv assez puissant pour dissimuler aux yeux de ses partisans le risque inhérent à une telle disposition d’esprit, à savoir que l’on y perd également l’authenticité de son être. Si je fais semblant de travailler au travail, cela signifie que je fais semblant d’exister dans l’existence. Mais encore faut-il saisir ce lien entre le travail et l’humanité de l’homme, entre l’acte de travailler et celui d’exister, plutôt que vivre.
Thèse :    Or c’est bien sur le fond de ce lien qu’il s’agit de saisir la thèse défendue dans ce texte, à savoir qu’il se manifeste dans le travail tel qu’il est imposé à l’ouvrier, en 1844, un processus d’extériorisation de soi au sens d’expulsion qui rend impossible que le travailleur s’y réalise, y accomplisse son essence en tant qu’être humain. Ainsi exilé de sa condition dans l’exercice même de l’activité où elle devrait, au contraire, se jouer, l’homme est déchu de son statut et contribue « malgré lui » dans son travail à son animalisation.


Problématique :   Le propos de l’auteur n’est pas vraiment ici de nous expliquer les causes de ce processus mais de le décrire. C’est bien le sens de la question initiale. La totalité de ce passage se développe donc à partir du suspens amorcé par cette interrogation. Le registre lexical de l’extériorité est suffisamment insistant (« dehors, étranger, pas son bien propre, hors de soi, etc. ») pour indiquer qu’aussi énumérative qu’elle soit annoncée, la démonstration de l’auteur suit moins une dynamique successive qu’évolutive : les différentes caractéristiques de l’aliénation décriront en réalité des degrés plus ou moins importants d’une seule et même procédure qui est celle d’une extériorisation, d’une expulsion : le travailleur est expulsé de ce qui devrait être sa maison : le travail.
Ce qui travaille notre travail c’est le « devenir soi-même » de l’être humain. On mesure ainsi la gravité de l’aliénation. Dans un premier temps, il n’est rien de l’activité salariée de l’ouvrier qui lui permette de « s’y nourrir » en un autre sens que celui de la subsistance. Se mortifier, ce n’est pas la même chose que mourir c’est œuvrer à sa propre disparition, à sa banalisation, à la renonciation de toute affirmation de soi (une vie meurt, une existence dépérit).  Comment s’effectue ce dépérissement ? Par l’exil (deuxième partie : « En conséquence » – 5e ligne). Comme l’ouvrier est expulsé de ce qui devrait être son « chez-lui », c’est-à-dire l’acte où il réalise sa condition d’ouvrier et sa condition d’homme, il va chercher ailleurs de quoi satisfaire son besoin de survivre plutôt que dans le travail la motivation d’exister, puisque celle-ci lui est interdite. Ce n’est pas tant le fait que l’on va suspendre la possibilité de satisfaire ses besoins vitaux à sa paye qui est ici à prendre à considération que celui qui consiste à l’empêcher de satisfaire le seul besoin qui compte vraiment, à savoir la réalisation de sa condition : Tout homme a d’abord besoin d’être un homme, de s’affirmer en tant qu’homme. Enfin, l’ouvrier est dépossédé de ce qu’il a dans l’exercice de son travail, mais ce qu’il a, soit sa force de travail c’est précisément ce qu’il est, d’où la violence de cette dépossession. Pour en donner idée, la comparaison est faite avec la religion dans laquelle la relation du fidèle avec Dieu est suffisamment asymétrique, disproportionnée pour le maintenir dans une situation de dépendance absolue par rapport au culte : il ne s’agit pas pour le fidèle de se réaliser dans la prière ou dans l’adoration mais de se concevoir et de se vivre soi-même comme « insuffisant ». Le rapport à moi-même est rendu inopérant par l’insinuation de ce grand Autre qu’est le divin (le numineux), dont la présence détruit toute possibilité de suffisance à soi. Ainsi déchu de tout ce qui aurait pu et du lui garantir par son travail la reconnaissance de soi et l’accomplissement de sa condition humaine, l’ouvrier retourne à une forme de bestialité, de satisfaction primaire de ses besoins animaux.


 La structure du texte est donc claire, entre la question initiale (ligne 1) et la réponse du dernier paragraphe (3 dernières lignes), Karl Marx, trois visages différents de l’aliénation sont évoqués : a) la négation (destruction de la liberté et de l’affirmation de soi par le travail – jusqu’à « esprit » l 4) b) l’expulsion (l’ouvrier est mis à la porte de son « chez lui »- jusqu’à mortification l13) c) la dépossession (il s’est vendu en tant que force de travail – jusqu’à « soi-même » l19). La comparaison avec la religion appuie cette dernière caractéristique.


La dynamique problématique de ce passage tient donc toute entière dans le paradoxe d’une expulsion, de l’exil du travailleur d’une terre qui consiste en elle-même dans un mouvement d’extériorisation, à savoir celui du travail. L’ouvrier est jeté hors du mouvement d’extériorisation, d’expression de soi où se réalise son identité générique d’être humain, mais cette identité est elle-même toujours à faire, toujours à reconduire d’époque en époque et c’est cela que Marx appellera « le développement des forces productives ». L’enjeu de ce texte est donc de nous faire comprendre que le travail aliéné, tel qu’il est encore aujourd’hui, imposé comme l’archétype, la matrice de tout travail salarié dans une économie libérale, constitue un modèle proprement inhabitable parce que déshumanisé. Le choix d’un métier ne constitue pas, pour la plupart d’entre nous, le point de cristallisation d’une vie accomplie, réalisée, c’est-à-dire le lieu de matérialisation des conditions d’une vie sensée. Il s’agit donc pour nous de nous réapproprier ce « chez-nous » d’où nous sommes exclus en acceptant de nous vendre comme forces de travail. Il conviendrait de s’exclure des termes d’un tel contrat qui rend possible l’extorsion du salariat et impossible l’identification du travailleur à son travail « dans » son travail en tant qu’être humain.

Qu’est-ce que l’homme ? Un animal qui s’est distingué des autres en créant autour de lui les conditions de sa propre existence générique. Il existe bien des modalités de production animale mais elles ne semblent pas dépasser de cette simple finalité qui est de pourvoir aux besoins du groupe, de la famille ou de la horde au sein duquel l’individu animal est intégré. « L’homme, dit Marx, produit de façon universelle. » Il y a quelque chose d’objectif dans la façon humaine de travailler et cela en plusieurs sens a) objectif en tant qu’extérieur : l’homme crée des objets qui sont bel et bien hors de lui mais aussi qui porte en eux sa trace, son image, l’usage qu’il peut en faire – il est donc question de reconnaître son intériorité (humaine) dans une extériorité (objet) b) objectif au sens de « vrai, de scientifique » : le travail humain donne au monde une vérité qu’il n’avait pas dans la nature. Marx croit que l’histoire a un sens qui est celui de l’évolution des forces productives, laquelle a raison de transformer les ressources naturelles en énergie parce qu’il y a, par exemple, dans l’énergie hydraulique quelque chose de la vérité de l’eau, ou dans la combustion du charbon quelque chose de la vérité du minerai c) objectif au sens de « juste, sensé » : le travail fait sens parce que l’homme s’y crée comme créature capable d’influer sur ces conditions de vie, et donc de s’y constituer comme un être libre. Mais il fait aussi sens parce que il est le moteur de l’histoire, c’est-à-dire l’énergie motrice de ce temps humanisé, socialisé, politisé, qu’est l’histoire.

2 commentaires:

  1. merci, super clair, ça m'a beaucoup aidé

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  2. Le aliénation,son essence,s'affir s' pas,se nie =ces mots veulent dire quoi

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